Le travail dominical généralisé, les heures d’ouverture allongées, n’apportent guère de modernisation, mais plutôt une régression de la protection des salariés.
Il y a un grand écart entre les avis du clan patronal et ceux du clan syndical. Le Conseil d’État penche plutôt pour les seconds. Ainsi, les projets de loi de Lex Delles, ministre de l’Économie, et de Georges Mischo, ministre du Travail, relatifs aux heures d’ouverture dans les commerces de détail et au travail dominical, doivent être revus sous peine d’oppositions formelles de la part des Sages.
Au nom d’une plus grande flexibilité, productivité et attractivité, le gouvernement entend généraliser le travail dominical et augmenter de quatre à huit les heures autorisées pour les salariés. Le Conseil d’État se demande si une telle décision est opportune. Elle doit également prendre en considération les conséquences qu’une telle généralisation aurait sur la vie familiale, culturelle et sportive des personnes concernées. Or, cela n’apparaît pas dans l’exposé des motifs qui reprend l’argumentaire patronal.
Le Conseil d’État se demande s’il ne serait pas souhaitable d’actualiser les études qui ont été effectuées par le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (Liser) en 2018 «permettant ainsi d’enrichir les discussions qui entourent le projet de loi sous avis par un inventaire objectif des résultats de ces études».
Le côté salarial a toujours pointé du doigt le manque de dialogue social et de respect des salariés concernés. Les Sages partagent ce constat. «L’extension du travail dominical et les règles d’application afférentes devraient être le champ de prédilection des partenaires sociaux et toute solution négociée et équilibrée serait préférable à une solution imposée par la loi», écrivent-ils. D’ailleurs, le code du travail permet déjà d’augmenter l’amplitude des heures de travail dominical au-delà des quatre heures, moyennant la conclusion d’une convention collective du travail. «Cette façon de procéder permet d’offrir aux salariés concernés de meilleures conditions de travail moyennant des compensations de salaire tout en leur laissant, le cas échéant, le libre choix de travailler le dimanche et permet ainsi que le dimanche reste un jour particulier.» Les Sages en concluent que le projet de loi sous avis «constitue une régression en ce qu’il permet d’augmenter les heures de travail dominical sans négociation».
De plus, le projet de loi est susceptible d’offrir à la partie patronale un levier qui permettrait de ne pas reconduire lesdites conventions collectives, en optant pour une application des seules garanties minimales prévues par le législateur. Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’augmentation des heures de travail dominical de quatre à huit heures par voie législative réduise encore le nombre de conventions collectives à l’avenir. Ce qui est en totale contradiction avec les objectifs poursuivis par la directive européenne qui «oblige les États membres à prendre des mesures afin d’accroître le taux de couverture des négociations collectives et de faciliter l’exercice du droit à la négociation collective en vue de la fixation des salaires».
Questions sans réponses
Quant au projet de loi qui vise à une plus grande libéralisation des heures d’ouverture, les entreprises concernées et leurs représentants y voient une avancée qui leur permettra de mieux s’adapter aux besoins de leur clientèle et de faire face à la concurrence des géants internationaux du commerce en ligne. Mais, le Conseil d’État relève que le dispositif pourrait peser sur les conditions de travail et d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des travailleurs concernés, comme le martèlent les syndicats.
«Les effets de la libéralisation proposée sont en tout état de cause difficiles à prévoir et soulèvent par ailleurs un certain nombre de questions», estiment les Sages. D’abord, le dispositif risque de ne pas être totalement neutre en termes de concurrence entre petits et grands acteurs, ces derniers ayant à leur disposition plus de moyens pour tirer pleinement profit de la libéralisation des heures d’ouverture. Et quelle sera par ailleurs la réaction des consommateurs?, s’interrogent-ils. Est-ce que la libéralisation débouchera sur une augmentation de la demande qui viendra compenser les coûts engendrés par le dispositif proposé pour les commerces concernés, ou est-ce que la demande existante, tout en se répartissant différemment sur les créneaux d’ouverture proposés aux consommateurs, stagnera ?
«À ces interrogations, l’exposé des motifs et le commentaire des articles n’apportent malheureusement pas de réponses», observe le Conseil d’État. Le dossier reste muet en ce qui concerne les habitudes de consommation et l’impact d’une extension des heures d’ouverture sur le comportement du consommateur. «Or, c’est bien sur ce dernier point que se cristalliseront les enjeux de la réforme du point de vue du commerce et de l’artisanat», notent les Sages.
Les auteurs du projet de loi sont encore priés d’être plus clairs sur les activités concernées dans le nouveau texte. En ce qui concerne plus particulièrement les entreprises familiales, le Conseil d’État constate que celles-ci pouvaient initialement déroger aux heures de fermeture prévues par la loi en vigueur, mais tel que le nouveau projet est rédigé, il ne permet pas à l’entreprise familiale qui, en dehors de ses membres, emploie encore des salariés externes à la famille, de bénéficier de la dérogation.
Les auteurs du projet de loi devront expliquer leur façon de procéder, activité par activité, pour éviter une source d’insécurité juridique et de se trouver à l’origine de nombreux litiges.