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Le Conseil de presse mobilisé après un article polémique : que dit la déontologie?


Organe autorégulateur du secteur, le Conseil de presse veut entendre les responsables de la rédaction avant de s'exprimer sur l'affaire. (Photo : illustration/adobe stock)

Suite à l’article consacré à un pédocriminel condamné en première instance paru dans le Wort, de nombreux commentaires pointent un manque de déontologie journalistique.

En publiant, le 22 mai sur son site web, et le lendemain dans sa version papier, un long article consacré à un homme condamné récemment en première instance pour pédocriminalité, le Luxemburger Wort a choqué de nombreux lecteurs.

À l’image de plusieurs associations – la plateforme féministe JIF,  La Voix des Survivant-e-s et Innocence en danger Luxembourg – qui ont fait part le jour même de leur indignation, beaucoup n’ont pas compris ce choix éditorial.

C’est quoi, un choix éditorial?

Alors, comment s’opère le choix des sujets au sein d’une rédaction? Les journalistes sont-ils libres de publier ce qu’ils veulent, surtout quand il s’agit d’une affaire judiciaire en cours? Le président de l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels, Misch Pautsch, éclaircit ces points essentiels.

«Le processus guidant les choix éditoriaux diffère d’une rédaction à l’autre, mais en général, il y a une discussion collective impliquant l’ensemble de l’équipe autour des sujets : comment les aborder, sous quel angle? Peut-on les publier, et si oui, de quelle manière?»

«Ensuite, le journaliste peut échanger plus en détails avec son rédacteur en chef, et c’est ce dialogue qui, en théorie, mène aux décisions éditoriales.»

En l’occurrence, lui-même dit avoir été «surpris» à la lecture de ce papier : «Ce n’est pas le genre d’article qu’on voit tous les jours», souffle-t-il, ajoutant que la publication a aussitôt fait l’objet de vives discussions sur la boucle de messagerie interne de l’organisation.

Un «dialogue avec les responsables»

Si l’ALJP n’a pas pris position publiquement, c’est parce que sa mission se concentre avant tout sur la liberté et l’indépendance de la presse, ainsi que la représentation et la défense des journalistes.

Mais surtout, justifie Misch Pautsch, parce que 16 de ses membres siègent au Conseil de presse, organe autorégulateur du secteur depuis 1979 et gardien du Code de déontologie des journalistes.

Or, l’instance a décidé de ne pas s’exprimer pour l’instant : contacté lundi, le Conseil de presse annonce en effet qu’«avant de prendre position sur cette affaire délicate», il «souhaite dialoguer avec les responsables de la rédaction» du Wort.

Misch Pautsch de l’ALJP estime que, dès qu’il s’agit de pédocriminalité, les journalistes doivent être extrêmement vigilants pour protéger les mineurs. (Photo : archive/julien garroy)

Précisons que les associations n’ont pas la possibilité d’introduire, en leur nom, une plainte auprès du Conseil de presse. La commission dédiée traite uniquement des réclamations émanant de particuliers en rapport avec une publication les concernant.

Ce que dit la déontologie

Si moralement, le choix du sujet, comme son traitement, interrogent, qu’en est-il du point de vue des règles de déontologie?

«D’abord, il faut préciser que ces règles s’appliquent à tous les professionnels détenteurs d’une carte de presse. Elles n’interdisent pas de commenter une affaire en cours ou de recueillir les propos des protagonistes, mais imposent un certain nombre de précautions», clarifie le président de l’ALJP.

Dans les médias, la présomption d’innocence d’une personne doit être respectée jusqu’au jugement définitif, une grande attention doit être accordée à la protection des mineurs, «sans intrusion qui risquerait de nuire à leur développement», et l’anonymat doit être garanti, sauf si on parle d’une personnalité publique.

Le Code de déontologie précise encore : «La presse s’engage à ne pas glorifier les crimes et autres actes de cruauté ou de violence», et à respecter «la souffrance des victimes et les sentiments de leurs proches.»

La loi protège les mineurs

De plus, la protection des mineurs est renforcée au niveau légal par la loi de 2010 sur la liberté d’expression dans les médias qui interdit la communication au public de l’identité d’un mineur victime d’une infraction, ou de tout élément permettant son identification (article 18).

Le législateur accorde également une protection spéciale aux personnes mineures, «afin de ne pas compromettre leur développement social et familial» (ad. article 5).

Misch Pautsch rappelle ainsi que, de manière générale, «tous les articles journalistiques concernant la pédocriminalité doivent systématiquement s’assurer d’être conformes à ces passages.» Les journalistes détenteurs d’une carte professionnelle connaissent ces textes, puisqu’ils sont formés à la fois au Code de déontologie et au droit de la presse.

Bientôt une nouvelle formation

Quant à la sensibilisation des rédactions au traitement médiatique de questions de société telles que les violences sexistes et sexuelles, le genre ou le racisme, au Luxembourg, elle reste rare.

Mais l’offre de formation du Conseil de presse, qui couvre aujourd’hui plutôt des thématiques comme l’investigation, les statistiques ou le droit à l’image, va bientôt s’étoffer : «On travaille sur la création de ce type de formation, car ce sont des sujets difficiles pour tout le monde, donc on veut organiser ça prochainement», indique Misch Pautsch.

Une formation dédiée à la protection des mineurs, dispensée par l’Ombudsman pour les enfants et les jeunes, Charel Schmit, est disponible auprès du Conseil de presse, et l’ALJP rappelle au passage que les rédactions sont libres de faire appel à d’autres organismes lorsqu’elles souhaitent former leurs journalistes sur ces questions, de plus en plus présentes dans l’espace médiatique.

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