Jean Rochefort, l’une des figures les plus populaires du cinéma français, décédé dans la nuit de dimanche à lundi à l’âge de 87 ans, était un comédien éclectique, pudique et passionné, incarnation du gentleman à la française.
L’acteur, qui avait été hospitalisé en août dernier, est mort dans un établissement parisien, a annoncé lundi sa fille Clémence. Avec ses grandes moustaches, son air de séducteur farceur, Jean Rochefort restera comme l’une des grandes voix du septième art français par son timbre de voix unique, grave et pénétrant, immédiatement identifiable, à l’instar d’autres monuments du pays comme Jean-Louis Trintignant ou Philippe Noiret.
« J’appartiens au patrimoine. Il y a le jambon de Bayonne, Noiret, (Jean-Pierre, NDLR), Marielle et moi », plaisantait l’acteur, qui a tourné dans près de 150 films. S’il s’est taillé une réputation dans les comédies, où il a souvent incarné des rôles de pince-sans-rire, Jean Rochefort était un acteur singulier, difficile à classer, avec cet air à la fois conventionnel et « fêlé », comme le disait le réalisateur Patrice Leconte dont il était l’acteur fétiche.
Son allure élancée le prédestinait aux rôles de cadres supérieurs. Il a pourtant joué sur tous les registres : libertin cynique (Que la fête commence de Bertrand Tavernier), flegmatique valet anglais (Les tribulations d’un chinois en Chine de Philippe de Broca), pharmacien lâche (Courage, fuyons d’Yves Robert), père de famille adultérin (Un Eléphant ça trompe énormément d’Yves Robert), mari comblé (Le mari de la coiffeuse de Leconte), commandant de marine (Le Crabe Tambour de Pierre Schoendoerffer)… Il a promené sa silhouette longue et osseuse dans des films d’auteur ou grand public.
Sa longue carrière a été couronnée de trois Césars, pour ses rôles dans Que la fête commence en 1976, Le Crabe-Tambour en 1978, et un César d’honneur en 1999.
Né le 29 avril 1930 à Paris dans une famille bourgeoise, Jean Rochefort vit une enfance plutôt terne, en partie à Nantes. « Dieu que je me suis ennuyé enfant », confiait-il. Son goût pour le théâtre lui est communiqué notamment à travers les transmissions de pièces à la radio. Après l’école de théâtre de la rue Blanche à Paris, il entre au Conservatoire et débute dans la compagnie Grenier-Hussenot. Sur les planches, il construit sa renommée aux côtés notamment de Delphine Seyrig et de Claude Régy.
Il a près de trente ans quand il entame sa carrière au cinéma. Parti en URSS, il se marie et y reste un an. A son retour, il joue dans la série « Angélique » de Bernard Borderie. Dans les années 1970, il devient l’acteur favori d’Yves Robert (Le grand blond avec une chaussure noire, Le retour du grand blond, Un éléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis…) et acquiert son statut de vedette. C’est aussi le « chouchou » de Patrice Leconte, malgré une première rencontre catastrophique entre les deux hommes en 1975.
Dans les années 1980, il était aussi l’animateur préféré des petits téléspectateurs du samedi soir de l’émission Disney Channel, avec le célèbre Winnie l’ourson.
En 2015, à 85 ans, il avait incarné dans Floride de Philippe Le Guay, avec Sandrine Kiberlain, un ancien industriel en proie à la confusion mentale. Son chant du cygne puisqu’il annonçait, dans la foulée, qu’il mettait un terme à sa carrière. « Je ne veux pas faire de film d’épouvante, donc il vaut mieux s’arrêter », avait-il plaisanté sur Europe 1.
Ce qui ne l’empêchait nullement d’enregistrer régulièrement, pour France 5, l’émission des « Boloss des belles lettres » où il interprétait une œuvre du patrimoine littéraire en langage de la rue. En privé, Jean Rochefort, réfractaire à la « starisation », était un passionné de cheval : il avait atteint un niveau de compétition et possédait un haras dans les Yvelines, où il a vécu jusqu’à ses 80 ans. Atteint de dépression, son psychiatre lui avait recommandé de fuir la campagne. « Parti à 30 ans de Paris, j’y suis revenu à 80 », s’amusait-il avec son mélange habituel de sérieux et d’humour. Père de cinq enfants de trois femmes (Alexandra Moscwa, Nicole Garcia et Françoise Vidal), Jean Rochefort disait avoir été un « mauvais père » accaparé par sa carrière.
Le Quotidien/AFP