Les forêts ne se portent pas très bien, mais elles ont des experts à leur chevet et tout un programme pour s’en sortir. La ressource bois est un capital à soigner pour le directeur du cluster Bois, Philippe Genot.
Avec une superficie d’environ 90 000 hectares, la forêt couvre plus d’un tiers du territoire national, avec une très large proportion de feuillus (64 % de la surface totale) en comparaison avec les résineux (36 %). Chaque année, 750 000 m3 de bois sont produits dans les forêts au Luxembourg, dont quelque 500 000 m3 sont concrètement récoltés par l’homme.
Ainsi, la forêt constitue un capital exceptionnel qui génère des intérêts dont seuls les deux tiers sont utilisés : un modèle quasi unique de prélèvement durable, à la croisée des enjeux écologiques, économiques et sociétaux», résume la brochure de présentation du cluster Bois de Luxinnovation créé en 2016. Une plateforme d’échange pour tous les acteurs de la filière jusqu’au consommateur final de produits bois.
Son directeur, Philippe Genot, sait combien il est vital de veiller sur le capital, c’est-à-dire nos forêts et, au-delà du Luxembourg, celles de toute la Grande Région. «Il faut soigner le capital, comme j’ai coutume de le dire. Si on tue le capital, on tue tous ses bienfaits», déclare-t-il au Quotidien.
Arbres stressés à cause de la sécheresse
Le directeur du cluster Bois constate, comme tous ceux que la question préoccupe, les calamités qui s’abattent sur les forêts déjà pas très en forme au Luxembourg. En novembre dernier, les résultats de l’inventaire phytosanitaire des forêts indiquaient que plus de la moitié des arbres toutes essences confondues montrent des signes manifestes de stress en raison des sécheresses des trois dernières années et des canicules. Le hêtre et les résineux sont en particulier touchés.
Les résultats de l’inventaire phytosanitaire de 2019 montrent que l’état de santé des forêts s’est dégradé : 13,4 % des arbres ne présentent pas de dommages; 36,6 % des arbres sont légèrement endommagés et 50 % des arbres sont nettement endommagés.
Il n’y a pas que la sécheresse. Le changement climatique, c’est aussi des hivers plus doux, trop doux, mais pluvieux. Les températures négatives se font rares et donc les grands froids ne sont plus au rendez-vous pour nettoyer la nature d’une bonne partie de ses parasites. Les scolytes qui s’attaquent aux épicéas survivent l’hiver. «Leur population est très importante en ce moment», confirme Philippe Genot.
Conséquence? «On a de très gros problèmes au niveau de la mortalité de l’épicéa», regrette le directeur. Avec tout ce bois sur le marché, le prix de l’épicéa est en chute libre. «On le voit depuis 3 ou 4 ans partout en Europe centrale.»
Mais d’autres espèces commencent à souffrir également, comme le hêtre qui perd prématurément ses feuilles pour s’adapter au manque d’eau, un mécanisme qui l’affaiblit et le rend lui aussi vulnérable aux attaques de parasites.
L’épicéa en sursis
Voilà qui pose la question de l’avenir de l’épicéa dans nos régions et de son éventuel remplacement. «Il est clair qu’à moyen terme, dans 20 ou 30 ans, il n’y en aura plus parce que les gens ne vont plus en planter», nous indique Philippe Genot. Il faudra alors trouver une solution avec les pins. «On peut très bien imaginer nos forêts peuplées de pins, d’eucalyptus, de chênes-lièges…», poursuit le directeur du cluster bois.
Le challenge pour un arbre, c’est un siècle entre la plantation et son exploitation. «Il faut rendre les forêts résilientes et nous préconisons la mixité avec des âges différents et des essences différentes, qui augmente la résilience de la forêt. Si un groupe pâtit, la forêt survivra», explique-t-il.
Au sein du cluster Bois, les acteurs réfléchissent bien à la possibilité de faire venir des arbres d’Europe du Sud pour les planter dans nos forêts. «Mais avec ces changements d’essences, on peut aussi ramener des prédateurs et c’est toujours délicat même si on aura forcément des migrations d’essences», ajoute-t-il.
Une gestion durable
Il ne s’inquiète pas outre mesure de l’avenir des forêts qu’il sait entre de bonnes mains. «De façon générale, les forêts sont gérées de façon durable au Luxembourg avec des certifications», rassure Philippe Genot. À côté des deux piliers écologique et social, il y a le pilier économique, autrement dit, «la ressource bois» : on ne prélève que les deux tiers de ce que la forêt peut produire et la moitié des surfaces boisées sont certifiées par deux labels de gestion durable, FSC et PEFC.
«Nous travaillons sur le côté valorisation régionale.» Le directeur nous parle du bois produit et valorisé ici au Luxembourg et dans la Grande Région, où le cluster Bois compte beaucoup de partenaires. Par exemple, le cluster cherche à valoriser le hêtre utilisé en grande partie en bois de chauffage. «C’est dommage car nous avons beaucoup de hêtres au Luxembourg et c’est triste pour ces arbres parfois plus que centenaires. On cherche une meilleure valorisation, dans la construction par exemple», indique Philippe Genot.
En attendant, le cluster Bois veille sur la forêt pour qu’elle offre encore toutes ses ressources à l’avenir. Surtout que le bois revient à la mode, pour se loger, pour se chauffer. Pour la beauté du matériau.
Geneviève Montaigu
Restaurer les peuplements dégradés
Parce que la moitié des arbres, toutes essences confondues, montre des signes manifestes de stress en raison du changement climatique (sécheresse, canicule, hivers doux), il est d’abord primordial de lutter contre ce réchauffement, mais aussi de restaurer des peuplements dégradés et d’améliorer la résilience des écosystèmes forestiers, c’est-à-dire leur capacité naturelle à mieux gérer les situations de stress.
L’objectif des mesures du programme «Klima-Bonus» pour la forêt, présenté en novembre dernier par la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, consiste à soutenir les gestionnaires forestiers pour qu’ils puissent mettre en œuvre une gestion durable des forêts qui permette de préserver les nombreux services rendus par les écosystèmes forestiers à la société, à savoir la protection du sol, la filtration de l’eau et de l’air, la préservation de la biodiversité et d’un milieu de récréation, le captage du CO2 et la fourniture de produits naturels tels que le bois.
Le programme consiste en un renforcement des structures de conseil, de formation et d’aide technique pour les propriétaires forestiers privés. La conversion des monocultures d’épicéas, principalement privées, en peuplements mélangés est une des principales mesures d’adaptation au changement climatique de nos forêts.
Il s’agit également d’adapter les aides financières pour les propriétaires forestiers qui se lancent dans la restauration des écosystèmes forestiers endommagés (plantation, regarnissage, entretien, protection contre le gibier) et d’accorder une indemnité forfaitaire pour la perte de revenu.
Enfin, le programme prévoit la mise en œuvre d’un système d’aide à la décision pour le choix des essences adaptées à la station. Il s’agit d’un fichier écologique des essences qui sera disponible d’ici la fin de l’année sur le site du Géoportail national et qui facilitera le choix des espèces et provenances adaptées à la station. Pour consolider ce système, la cartographie des sols forestiers est en cours de finalisation.
G. M.