Dans le réfectoire de la résidence, les artistes de Be Flat réinventent le cirque avec un spectacle composé à 75 % d’improvisation.
Dans le réfectoire de la Konviktsgaart, la compagnie Be Flat transforme un lieu du quotidien en scène de cirque. La maison de repos de Luxembourg n’a pourtant pas de gradins ni de chapiteau : mais quelques tables poussées, des pots de fleurs et leur télévision sont devenus des accessoires de spectacle vivant.
Pour Ward Mortier, cofondateur de la troupe, la part d’improvisation est de 75 %. «Pour ce spectacle, on a vraiment choisi de ne pas trop fixer les choses. On voulait garder beaucoup d’imprévus.» explique-t-il à propos de Living, un de leurs quatre spectacles. «Il y a une structure, avec quelques rendez-vous clés imposés, mais entre ces moments, tout peut arriver.»
Un show «à 360 degrés»
Cette fois-ci, c’est devant 70 enfants de maisons relais, accompagnés d’une dizaine de résidents curieux, que la troupe s’est produite. Un show de 45 minutes qui commence par des performances théâtrales et comiques.
Mais très rapidement, le spectacle passe «à 360 degrés» comme le dit Gilles, membre de l’équipe des Rotondes, partenaire du projet. «Peu importe où l’on se trouve dans la pièce, il se passe toujours quelque chose», ajoute-t-il.
En effet, pendant qu’un acrobate bondit sur le salad bar, un autre joue derrière les stores et disparaît quand ils se relèvent. Puis entre deux pirouettes, la mère de Ward conduit une catapulte mobile et sillonne les tables en lançant des petits coussins de la taille de chaussettes roulés sur les spectateurs.
Ces derniers prennent part au spectacle et se déclare alors une véritable guerre de polochons. Mais la troupe sait reprendre l’attention. L’acrobate star, âgée de 66 ans, monte sur le buffet et exécute un porté spectaculaire avec son fils. Tous l’applaudissent avant qu’elle ne se laisse tomber en arrière, confiante, dans les bras du reste de la troupe.
«Avec les enfants, c’est une vraie réussite !»
Tout à coup, les lumières s’éteignent. Le cinéaste du groupe utilise alors une caméra reliée à un écran pour rejouer Les dents de la mer, accompagné par un trombone reproduisant le thème du film.
Quand elles se rallument, les acrobaties reprennent et les acteurs se suspendent au plafond à l’opposé de la pièce. Le spectacle s’achève en apothéose : une musique de fanfare démarre et les rires des enfants se réunissent autour du salad bar central.
Dans la salle, Rosa, responsable du restaurant, observe le spectacle entre deux tâches, amusée. «Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est que personne ne soit blessé!», plaisante-t-elle. Elle se demande «si le spectacle aura le même engouement avec les résidents», qui sont plus âgés, mais conclut qu’«avec les enfants, c’est une vraie réussite!»
Le spectacle vivant, un moment «pur»
Fondée en 2017 par Thomas Decaesstecker et Ward Mortier, la compagnie gantoise Be Flat est née d’une envie simple : «on voulait sortir le cirque de ses cadres habituels», explique Thomas.
Avec Ward, ils partagent un parcours différent, mais complémentaire. Thomas est autodidacte et a grandi en expérimentant le mouvement dans la rue et les ateliers. Ward, lui, a suivi une formation de circassien.
Dès leur première création en 2018, la troupe a exploré des lieux inhabituels : maisons de retraite, ateliers d’artistes, bibliothèques, salons privés. Chaque lieu impose ses contraintes et inspire le spectacle.
«Tout part de l’espace disponible», insiste Thomas. Les objets deviennent accessoires, le mobilier est intégré dans la performance, et le public, qu’il soit enfant ou senior, devient acteur. Ward ajoute que «ce n’est pas un spectacle à regarder, c’est un moment à vivre ensemble.»
Trois personnes forment le noyau dur de Be Flat : Ward, Thomas et Greg, dramaturge de formation. Ce dernier les aide à écrire les 25 % de base des spectacles. Et pour recruter les autres acteurs, ils privilégient la complicité.
«On ne fait jamais d’auditions, nos recrutements, ce sont des amis ou connaissances», explique Thomas. Le groupe s’articule autour d’une équipe principale de douze personnes, complétée par d’autres artistes selon les projets.
Chaque membre apporte d’ailleurs sa spécialité : circassiens, comédiens, musiciens de jazz, cinéaste ou même amateurs. Cette diversité permet de combiner acrobaties, musique et théâtre, ce qui permet d’interagir avec le public, rendant chaque spectacle unique.
Leur méthode repose donc surtout sur l’improvisation collective. Après un repérage des lieux fait deux ou trois jours avant le spectacle, les artistes construisent une trame, un fil rouge, mais qui reste flexible. Chaque représentation est adaptée au lieu et au public.
«C’est comme du jazz», explique Thomas, «on improvise à partir d’un cadre commun, mais chaque interaction, chaque geste peut changer selon l’instant.» Cette approche permet de jouer avec l’énergie des spectateurs et de transformer le spectacle en un véritable dialogue.
Au-delà du jeu et des acrobaties, ces deux fondateurs belges défendent le spectacle vivant. «Le cirque doit permettre à tous, de tous âges et de tous horizons, de partager un moment ensemble», précise Thomas. «C’est pur comme moment et ce que tu reçois peut vraiment marquer», conclut Thomas.
Pour assister aux autres représentations prévues à la Konviktsgaart samedi et dimanche, rendez-vous sur rotondes.lu/fr/agenda/living
Une troupe à succès
Be Flat sillonne toute l’Europe, en se produisant de la Finlande à l’Espagne. Comme le souligne Thomas, «on a toujours assez de demandes. On peut choisir ce qu’on fait et ce qu’on ne veut pas faire.»
La saison principale de la troupe s’étend d’avril à octobre, période durant laquelle ils enchaînent les représentations de leurs quatre spectacles : Living, Double You, Ludo et Arsène et Follow Me.
Spectacles durant lesquels ils explorent toujours de nouveaux espaces. Pour ce qui est d’avenir de la troupe, Ward ajoute qu’ils vont «continuer à beaucoup jouer et pour fêter nos dix ans en 2028, avoir mis au point une nouvelle pièce!»