Après quasiment un siècle de prohibition, le Canada est devenu mercredi le premier pays du G20 à légaliser le cannabis récréatif, une réforme historique attendue à travers le pays tant par les consommateurs de cette drogue douce que par les marchés boursiers, euphoriques.
Dès minuit (heure locale) à Saint-Jean-de-Terre-Neuve, des dizaines de personnes ayant bravé le froid pendant plusieurs heures ont acheté les premiers grammes de cannabis « légal » dans une boutique de l’enseigne Tweed, brièvement ouverte dès minuit pour marquer l’occasion. Ian Power est arrivé dès 20h pour « entrer dans l’histoire ». « C’était mon rêve de devenir la première personne à acheter le premier gramme légal de cannabis, et voilà je suis là », a-t-il déclaré aux journalistes sur place. « Je suis sur un petit nuage, tellement excité, je n’arrête pas de sourire. Je n’ai pas froid. Il gèle dehors, mais je n’ai pas froid. »
Trois ans après son élection, le gouvernement libéral de Justin Trudeau réalise l’un de ses engagements de campagne les plus symboliques: le Canada est seulement le deuxième État de la planète à autoriser la marijuana récréative, après l’Uruguay en 2013. Aux États-Unis, la consommation récréative de cannabis a également été légalisée dans huit États – la Californie est devenu le 1er janvier 2018 le plus gros marché légal au monde – et dans la capitale Washington.
Parallèlement, nombre de pays comme les Pays-Bas ou l’Espagne ont dépénalisé l’usage et la détention de marijuana ou légalisé le cannabis thérapeutique. Le Luxembourg l’envisage également.
La mise en œuvre de cette mesure sera scrutée et disséquée tant par les Canadiens, appelés aux urnes dans un an pour des législatives incertaines, que par les pays alliés d’Ottawa. Au Québec, les boutiques d’État de la Société québécoise du cannabis (SQDC) ouvriront leurs portes à 10h locales. La SQDC démarre avec 12 magasins mais en vise jusqu’à 150 d’ici trois ans. A l’inverse, le Manitoba et l’Alberta ont décidé de libéraliser cette industrie et une poignée de points de vente privés vont être inaugurés mercredi.
16% de fumeurs
Le gouvernement a voulu permettre à chaque province d’organiser le commerce de l’herbe, et de Montréal à Vancouver en passant par Toronto et Winnipeg, chaque région a retenu sa propre recette pour organiser ce marché juteux évalué à environ 6 milliards de dollars canadiens (4 milliards d’euros) par an. L’opposition conservatrice au Parlement d’Ottawa a multiplié les attaques ces derniers jours contre cette mesure qui, selon les adversaires de Trudeau mais aussi selon des médecins, a été précipitée et a occulté plusieurs dangers pour la santé et la sécurité publique. « Ça fait au moins deux ans qu’on travaille avec les différents gouvernements », a répondu mardi Justin Trudeau, répétant que la légalisation doit permettre de restreindre l’accès de cette drogue douce aux mineurs et « enlever l’argent des poches des organisations criminelles ».
Selon les statistiques officielles, 16% de la population canadienne a fumé du cannabis en 2017, ce qui représente 773 tonnes de drogue douce. Il semble inévitable que les 120 producteurs autorisés actuellement ne soient pas en mesure de satisfaire toute la demande dans l’immédiat. Mais pour Bill Blair, ministre chargé de la Réduction du crime organisé, il est envisageable de ravir 25% du marché noir d’ici la fin 2018 et environ la moitié d’ici un an. « De nombreuses personnes pensent que la légalisation est un événement, mais c’est un processus », a-t-il déclaré. « Pendant près d’un siècle, les groupes criminels contrôlaient entièrement le marché, 100% de sa production et de sa distribution et ils en ont tiré des bénéfices de plusieurs milliards de dollars chaque année », rappelle-t-il. « Ils ne vont pas disparaître tranquillement du jour au lendemain ».
LQ/AFP