Institutions et chambres professionnelles se sont penchées en détail sur la gestion des finances publiques par le nouveau gouvernement. Une série de mises en garde est formulée.
Le projet de budget présenté début octobre par le ministre des Finances, Gilles Roth, table pour 2025 sur des recettes au niveau de l’État central de 29,6 milliards d’euros (+1,5 milliard d’euros par rapport à 2024) et des dépenses de 30,9 milliards d’euros (+1,4 milliard d’euros). Le déficit prévisionnel se situe donc à 1,29 milliard d’euros, soit une nette amélioration de 500 millions d’euros par rapport aux prévisions émises en 2024.
Derrière ces chiffres clés, on retrouve des priorités politiques du gouvernement CSV-DP. L’ensemble fait l’objet d’une multitude d’avis de la part des institutions et chambres professionnelles compétentes. Voici un résumé des principales conclusions.
«Une sous-estimation systématique des prévisions»
Le Conseil national des finances publiques (CNFP) revient sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le projet de budget, dont une hausse du PIB à 2,7 % en 2025 (contre +1,5 % en 2024).
Le principal point de critique concerne «une sous-estimation systématique importante des prévisions budgétaires». Ainsi, par rapport aux chiffres avancés en mars de cette année, et malgré de nouvelles mesures prises par le gouvernement, les prévisions pour l’évolution du déficit de l’État central sont «largement plus favorables». «Il s’agit d’une amélioration de 493 millions d’euros en moyenne annuelle sur la période 2024-2027» par rapport aux planifications précédentes.
Une autre inquiétude est le solde négatif à l’échelle de l’administration publique (État central, communes et Sécurité sociale). «La question qui se pose dès lors est de savoir de quel potentiel d’accroissement de ses moyens l’État disposerait en cas de futurs chocs économiques et géopolitiques», s’interroge le CNFP.
Le manque d’une «stratégie de rééquilibrage»
La Cour des comptes s’inquiète du fait que la dette publique a «plus que triplé depuis l’avènement de la crise financière de 2008». Or, en tant que petite économie ouverte, le Luxembourg devrait se donner une plus grande marge de manœuvre financière.
«À cet effet, dans un contexte caractérisé par une exacerbation des tensions de nature géopolitique et face aux défis posés par le changement climatique et par la multiplication des crises, la Cour estime qu’il serait utile que le gouvernement s’attache à concevoir une stratégie de rééquilibrage budgétaire proactive susceptible de renforcer la résilience des finances publiques et qui, de surcroît, réserverait le recours à l’endettement au financement d’investissements orientés vers l’avenir promouvant, notamment, la transition énergétique, socio-environnementale et digitale de notre économie», développe l’avis.
Elle s’inquiète en outre de l’impact financier du paquet de soulagement fiscal et du ralentissement à venir des recettes sur la vente de carburant et de tabac.
Des prévisions «trop optimistes»
Le Conseil d’État s’inquiète aussi de l’évolution de la dette publique, même si cette dernière tend à la baisse. La Haute Corporation tient à souligner «une nouvelle fois la nécessité de prendre les mesures appropriées afin d’empêcher la dette publique d’atteindre des niveaux non soutenables (…), tout en garantissant une marge de manœuvre nécessaire pour faire face à des crises aussi inattendues qu’inévitables, et une capacité d’investissement suffisante pour financer les enjeux structurels (…)», sans remettre en question le triple A.
Les prévisions concernant certaines recettes fiscales sont aussi jugées «trop optimistes». Dernière critique : des «cavaliers budgétaires», soit des postes budgétaires ressemblant à un «fourre-tout», difficile à décortiquer.
La Chambre des salariés (CSL) estime que «le Luxembourg bénéficie d’une situation budgétaire très favorable, avec un faible niveau de déficit (…) et une trajectoire d’endettement en déclin à moyen terme».
Par conséquent, la marge financière serait largement présente, en priorité pour mettre en œuvre des politiques «adaptées pour soutenir les groupes les plus vulnérables». Selon la CSL, «en plus des mesures proposées dans le projet de budget, les questions des prestations familiales, des pensions de vieillesse, du salaire minimum, de l’accueil gérontologique et du sort des monoparentaux doivent être traitées et faire partie intégrante de la politique sociale inclusive souhaitée par le gouvernement».
La CSL rejette la baisse du taux d’imposition des entreprises, considérant que l’«effet positif d’une telle baisse sur la croissance n’a pas été prouvé scientifiquement», et demande un meilleur équilibre entre imposition du capital et du travail.
L’objectif devrait plutôt être de «dépenser plus et plus vite, non pas seulement pour obtenir des gains économiques complémentaires, mais aussi pour répondre à tous les défis posés par la polycrise durable à laquelle font face le Luxembourg et l’Europe».
La Chambre de commerce salue le fait que l’État retrouve une plus grande marge de manœuvre, «afin de mettre le pays en capacité d’affronter les crises futures». «Grâce à des recettes plus dynamiques et une maîtrise des dépenses», dont la levée progressive des plafonnements des prix de l’énergie ainsi que des «efforts louables pour mieux maîtriser les dépenses courantes», le gouvernement serait «parvenu à inverser l’effet ciseaux», avec des dépenses de l’État central qui progressent moins vite que les recettes.
La Chambre de commerce accueille favorablement des «signaux positifs (…), notamment en matière de compétitivité fiscale», avec la baisse de l’imposition des entreprises.
Toutefois, la situation des finances publiques serait seulement «stabilisée à court terme». L’inquiétude majeure concerne la «non-soutenabilité» du système des pensions. «Le gouvernement a le devoir d’élaborer et de présenter une stratégie pour tendre vers un système durable et respectueux du principe d’équité intergénérationnelle, sans perdre de vue que c’est d’abord le dynamisme économique qui permettra de financer ce modèle social», affirme Carlo Thelen, le directeur général de la Chambre de commerce, cité dans le communiqué.
La Chambre des métiers salue les investissements à hauteur de 3,9 milliards d’euros inscrits dans le budget 2025. «Toutefois, l’expérience montre que les investissements prévus ne sont habituellement pas tous réalisés (…) Par conséquent et compte tenu du contexte économique difficile», l’État est appelé à se «donner les moyens d’accélérer les investissements (…), indispensables pour stimuler l’activité économique dans le secteur de la construction».
Les initiatives prises pour doper le marché du logement, dont les 480 millions d’euros pour acquérir des projets de construction privés, sont également mis en avant. La Chambre des métiers «encourage» le gouvernement «à être encore plus ambitieux». Des investissements supplémentaires permettraient «de maintenir l’emploi (…) et de résoudre à moyen terme la pénurie de logements».
La soutenabilité à long terme des finances publiques inquiète toutefois la Chambre des métiers, qui renvoie vers un système des pensions en déséquilibre. Des «réformes structurelles» seraient nécessaires, comme l’allongement de la durée de cotisation et un réajustement des prestations. Le renforcement du cadre légal pour réduire l’absentéisme et la défiscalisation des primes de fin d’année sont également revendiqués.
La Chambre des fonctionnaires et employés publics (CHFEP) appelle le gouvernement «à maintenir des investissements publics élevés», en priorité dans les domaines du logement et de la transition écologique et numérique.
Une autre priorité serait d’assurer le bon fonctionnement des administrations publiques, en prévision notamment de la mise en œuvre des mesures de simplification administrative («Once Only»). Selon cette chambre professionnelle, l’initiative doit profiter aux citoyens et ne pas avoir d’effets néfastes sur le travail des fonctionnaires et employés publics.
La CHFEP met également en avant la lutte contre la pauvreté et regrette la levée partielle, en 2025, du plafonnement des prix de l’énergie. Par contre, le paquet de soulagement fiscal comprendrait des «premiers éléments positifs» (non-imposition du salaire minimum, soutien renforcé des monoparentaux, etc.), en attendant la grande réforme fiscale.
Plus globalement est lancé un appel au maintien d’un véritable dialogue social, un principe qui serait actuellement peu respecté par le gouvernement. La CHFEP réitère en outre son opposition à toute dégradation des pensions, dans les secteurs tant public que privé.