Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl qui a durement touché un large pan de son territoire, le Bélarus construit sa première centrale nucléaire, conçue et financée par la Russie, sous l’œil inquiet mais impuissant de la Lituanie voisine.
Dans le nord-ouest du Bélarus et à une quinzaine de kilomètres de la frontière lituanienne, le chantier de la centrale d’Ostrovets entre dans sa phase finale: les deux réacteurs, d’une capacité de 1 200 mégawatts chacun, s’allumeront respectivement dès 2019 et 2020.
Le projet, approuvé par le gouvernement en 2008 et mené par le groupe nucléaire russe Rosatom, représente un investissement de 11 milliards de dollars, dont 10 proviennent d’un crédit russe.
Le projet a pu raviver des mauvais souvenirs dans un pays dont le quart du territoire a été irradié par l’explosion en 1986 d’un réacteur de la centrale soviétique de Tchernobyl, en Ukraine actuelle.
« Quand nous avons appris qu’une centrale serait construite sous nos fenêtres, nous avons eu peur », raconte Nina Rybik, qui fait partie des dizaines de milliers de personnes évacuées des zones contaminées il y a 30 ans.
« Mais la peur est passée: on nous a convaincus que le chantier emploie les technologies les plus avancées, tout est contrôlé », assure cette écrivain et journaliste. « Même ceux qui rassemblaient des signatures contre la construction s’activent maintenant pour y être embauchés ».
Face aux inquiétudes vis-à-vis de la sûreté nucléaire – décuplées depuis l’accident de Fukushima en 2011 – les autorités et le constructeur russe tentent de rassurer.
Pour montrer leur intransigeance, les autorités bélarusses ont exigé de Rosatom de changer une cuve endommagée lors d’une chute, bien que selon l’entreprise seule la peinture était abîmée. Le conglomérat russe présente ces réacteurs de troisième génération comme parmi les « plus modernes au monde », respectant « toutes les normes internationales ».
Selon la sociologue bélarusse Elena Martichtchenkova, qui sonde l’opinion sur le sujet depuis 2005, environ la moitié de la population bélarusse soutient aujourd’hui le développement de l’énergie nucléaire et cette proportion atteint 65% dans le district d’Ostrovets.
« Sécurité énergétique »
De l’autre côté de la toute proche frontière lituanienne, cet optimisme est loin d’être partagé. Vilnius dénonce un projet « en violation des exigences internationales en matière de sûreté nucléaire et environnementale à 20 km de la frontière de l’UE et à seulement 40 km de la capitale lituanienne », des accusation que le constructeur a toujours rejeté.
La porte-parole du ministre des Affaires étrangères lituanien, Rasa Jakilaitiene, accuse Minsk d’avoir « tenté de dissimuler », « nié » ou minimisé les conséquences d' »au moins six incidents ».
Selon le ministère de l’Energie, le pays balte a pris ses dispositions pour qu' »aucune électricité » ne puisse entrer sur le marché lituanien (et donc européen).
Cela ferme un débouché pour la centrale bélarusse, à la capacité importante pour ce pays de moins de dix millions d’habitants, qui réfléchit à faire tourner des usines la nuit pour consommer l’énergie produite.
Autre problème non résolu: le traitement des déchets radioactifs, auquel le gouvernement dit travailler.
A son annonce en 2011, ce projet de centrale constituait surtout un moyen pour Vladimir Poutine d’avancer ses pions économiques dans l’ex-URSS en venant en aide au président bélarusse Alexandre Loukachenko, confronté à une grave crise économique et à des sanctions occidentales pour la répression d’opposants.
Dans un contexte moins difficile après la récente levée des sanctions européennes – suite à une libération d’opposants – , Minsk le présente surtout comme un moyen de réduire sa dépendance au gaz russe, qui sert à produire son électricité.
Moscou a plusieurs fois eu recours à ses livraisons de pétrole et gaz comme levier d’influence avec le Bélarus ou d’autres voisins.
« C’est une question cruciale de sécurité énergétique, de dépendance à un seul pays, surtout quand ce pays a recours à des restrictions dans ses livraisons de ressources », a expliqué Alexandre Mikhalevitch, expert du nucléaire à l’Académie des sciences, lors d’une récente conférence énergétique à Minsk.
Selon lui, la nouvelle centrale, qui couvrira plus du quart des besoins énergétiques bélarusses, permettra à Minsk de réduire d’un quart ses importations de gaz russe ainsi que le prix de l’électricité.
Le Quotidien/ AFP