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L’Autriche commémore l’Anschluss et mise sur l’histoire 2.0


Le projet intitulé "Chronomètre 1938" proposera neuf heures de "live": 220 extraits d'interviews, de reportages, de correspondances relateront les heures tragiques de mars 1938. (Archives : AFP)

Le smartphone plutôt que le musée: l’Autriche expérimente de nouvelles formes de narration pour commémorer les 80 ans de l’Anschluss et parler aux jeunes générations de l’annexion du pays par Adolf Hitler, en mars 1938.

Dans la nuit du 11 au 12 mars, alors que l’armée d’Hitler s’apprête à envahir l’Autriche sans rencontrer de résistance, Sigmund Freud, père de la psychanalyse et juif viennois, note simplement dans son journal : « Finis Austriae » – fin de l’Autriche-.

Des témoignages comme celui de Freud, tirés de carnets intimes, de journaux, de télégrammes diplomatiques relatant l’annexion du pays, les archives en regorgent. Encore faut-il les faire vivre.

Les commémorations des 80 ans de l’Anschluss, qui débutent ce week-end, misent sur un renouvellement des supports de narration pour interpeller un large public.

Les amateurs d’histoire n’ont donc pas rendez-vous au musée mais dans la rue et sur leur smartphone: à partir de dimanche, 18h00 (17h00 GMT), les événements de l’époque seront diffusés en direct via une projection sur la façade de la chancellerie fédérale, le coeur de l’exécutif.

Le projet intitulé « Chronomètre 1938 » proposera neuf heures de « live »: 220 extraits d’interviews, de reportages, de correspondances relateront les heures tragiques de mars 1938, prélude à la Seconde guerre mondiale.

« L’idée, c’est de capter la génération Internet, en essayant de traduire un événement historique dans langage médiatique contemporain », explique l’historienne Heidemarie Uhl, l’une des conceptrices du projet.

Archives inédites

Adolf Hitler descend les escaliers du palais de la Hofburg à Vienne au printemps 1938 après l'"Anschluß".

Adolf Hitler descend les escaliers du palais de la Hofburg à Vienne au printemps 1938 après l' »Anschluß ».

« Les témoins directs disparaissent et la transmission aux nouvelles générations est un défi majeur », observe aussi Hannah Lessing, directrice du Fonds national autrichien pour les victimes du national-socialisme.

Le 11 mars à 18h14, la radio autrichienne annonçait l’annulation, sous pression d’Hitler, du projet de référendum envisagé par le chancelier ultra-conservateur Kurt Schuschnigg pour demander au pays s’il souhaitait rester indépendant. A 19h45, Schuschnigg annonçait sa démission.

Dans la nuit, les nazis autrichiens s’emparaient des principaux centres de pouvoir à Vienne. Les troupes d’Hitler franchissaient la frontière austro-allemande le matin du 12 mars. L’Autriche était réduite au rang de province du IIIe Reich, les nazis déchaînaient leur violence contre l’opposition politique et les juifs.

Le « Chronomètre 1938 », à suivre également les réseaux sociaux, s’arrêtera à 03h00 du matin lundi, le 12 mars, car « à ce moment, la chancellerie comme lieu de pouvoir n’existait plus », expliquent les animateurs du projet qui souhaitent offrir un récit nuancé, restituant le mélange de calcul et d’improvisation de ces journées.

Une ambition de réalisme partagée par la radio publique Ö1 qui proposera lundi, avant chaque bulletin d’information, une pastille de cinq minutes sur le mode « il y a 80 ans, à cette heure-ci ».

Les documents diffusés s’appuieront notamment sur des archives inédites de la radio autrichienne retrouvées en 2016 seulement, à Berlin, où l’administration nazie les avait transportées.

«Jamais fini»

Adolf Hitler est reçu par l'archevêque d'Autriche Theodor Innitzer à Vienne le 15 mars 1938.

Adolf Hitler est reçu par l’archevêque d’Autriche Theodor Innitzer à Vienne le 15 mars 1938.

Même la journée nationale de commémoration, lundi, tentera d’innover: après le discours du président de la République Alexander Van der Bellen, les Viennois découvriront une installation artistique inspirée de l’ambiance sonore du 15 mars 1938, lorsqu’une foule en liesse acclama l’arrivée d’Adolf Hitler dans la capitale.

Intitulée « The Voices », l’installation sera audible jusqu’en novembre sur la Heldenplatz (place des Héros), le lieu même où le dictateur, né en Autriche, prononça son allocution.

« L’actualité récente nous montre que nous n’en avons pas encore fini avec ce sujet, et nous n’en aurons probablement jamais fini », confie Christian Rapp, directeur de la Maison de l’Histoire de Sankt Pölten, près de Vienne.

Ainsi l’Autriche, gouvernée depuis décembre par une coalition entre l’extrême droite (FPÖ) et les conservateurs, a été ces dernières semaines confrontée aux failles de son travail de mémoire après plusieurs affaires liant des membres du FPÖ à des délits de négationnisme et d’antisémitisme, que cette formation a vigoureusement condamnés.

Et le pays n’en a pas fini non plus avec la fièvre mémorielle: la République autrichienne, née à la fin de la Première guerre mondiale, fête aussi cette année son siècle d’existence. L’histoire de ce jeune Etat, amputé en 1918 des territoires contrôlés durant des siècles par l’empire des Habsbourg, commença par deux décennies d’affrontements politiques violents, de crise économique et de crise d’identité, ferments des événements qui menèrent à l’Anschluss.

Le Quotidien / AFP