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L’autodestruction d’une œuvre de Banksy va-t-elle créer un précédent ?


Les connaisseurs sont tous d'accord pour dire que cette autodestruction était "un coup bien monté", avec la complicité de la maison de vente aux enchères. (photo AP)

Au-delà du « coup de pub » en forme d’acte de « rébellion » contre les ventes d’art, l’autodestruction spectaculaire d’une œuvre de Banksy, juste après avoir été acquise pour plus d’un million d’euros chez Sotheby’s, pourrait avoir des répercussions sur le marché de l’art.

Ce n’est pas la première manifestation de révolte d’artistes depuis le mouvement Dada, à l’image de ce que pouvait faire l’artiste britannique Gustav Metzger, inventeur dans les années 60 de « l’art autodestructif ». D’autres se livrent à des provocations : ainsi, Fred Forest a vendu une œuvre d’art virtuelle que personne ne pouvait voir. Le street artiste Blu a détruit rageusement ses œuvres à Bologne. Maurizio Cattalan a fait se déguiser son galeriste parisien Emmanuel Perrotin en lapin rose, etc.

Ce n’est pas non plus la première action rebelle de Banksy. Il avait notamment fait vendre à Central Park des originaux signés, sans aucune communication, à des prix très bas. Il avait affiché au mur de la salle de la Joconde au Louvre une reproduction agrémentée d’un smiley. Mais ce nouveau « happening » survenu vendredi dernier à Londres crée néanmoins un précédent et pourrait rendre « trendy » des œuvres déchiquetées, soulignent des experts.

« Profonde illusion » des rebelles

Pour Thierry Ehrmann, président de Artprice, spécialisé dans les cotations du marché de l’art, « le prix actuel » de Girl with Balloon, la toile du « street artist » de Bristol qui s’est autodétruite, devrait « se situer au-delà de deux millions d’euros ». « Il s’agit d’une performance empruntée au ready-made de Marcel Duchamp. La grille de lecture est que son art vient de la rue où l’éphémère est le parent naturel du Street Art. Banksy rappelle que, même dans une vente de prestige, tout son art est éphémère », affirme Thierry Ehrmann.

Banksy, qui a contribué à introduire cet art de rue sur le marché de l’art, « peut bien détruire son oeuvre et croire nuire aux capitalistes qui l’acquièrent : il se méprend. Les résidus de cette destruction s’auréoleront d’un prestige nouveau et d’une valeur financière de surcroît », relève Mikaël Faujour de la revue Artension. « Tout ceci », dit-il, « illustre la profonde illusion où se fourvoient ceux qui conçoivent l’art comme un outil de changement de la société ».

Un phénomène irrévérencieux qui ne va pas amener dans son sillon la chute du marché de l’art mais qui y instaure une incertitude durable, estiment plusieurs experts. Désormais, tout commissaire qui abattra le marteau pour une œuvre de Banksy « se demandera s’il va se passer quelque chose », constate pour sa part Arnaud Oliveux, expert en charge d’une vente le 24 octobre chez Artcurial à Paris où doivent être cédés trois sérigraphies et un objet (un rat en résine qui tient un pinceau) signés Banksy.

« Un coup bien monté »

« Nous allons être vigilants », annonce avec humour cet expert de l’art urbain, qui n’a pas très envie de se faire à son tour « bankser », comme l’avait résumé la semaine dernière un responsable de Sotheby’s. « L’artiste ne voulait pas que l’œuvre soit détruite entièrement. Elle devient autre chose, aussi du fait du buzz sur les réseaux sociaux. La maison de ventes est devenue actrice de la performance, et l’œuvre est devenue iconique », relève Arnaud Oliveux.

La maison d’enchères avait assuré avoir été prise de court, et l’acquéreur resté anonyme se serait dit « surpris », selon elle. Les connaisseurs sont tous d’accord pour reconnaître que cette autodestruction était « un coup bien monté ». Même si de nombreuses zones d’ombres persistent. Pour l’expert du Monde Harry Bellet, « il y avait sûrement quelques uns de la bande à Banksy dans la salle ». Banksy pourrait avoir été le vendeur et l’acheteur, ou avoir confié l’œuvre à un de ses amis pour la vendre, spéculent d’autres spécialistes.

La broyeuse que Banksy a prétendu dans une vidéo avoir caché dans le cadre du tableau et qui l’a déchiré, aurait dû aussi être découverte, car de telles œuvres sont soumises à des inspections poussées pour s’assurer qu’elles ne sont pas abîmées, relèvent certains. Et quid de la batterie ? Un complice est-il venu la recharger quelques jours avant la vente ? Outre les prix, le dernier « coup » de Banksy, digne d’un stratagème d’Arsène Lupin, continue de faire grimper la perplexité.

LQ/AFP