Il y a quelques mois, le Luxembourgeois a participé à l’harmonisation de la cathédrale de Notre-Dame de Paris.
C’est dans l’imposante église Saint-Martin de Dudelange que nous rencontrons Laurent Anen. Dans cet édifice religieux datant du XIXe siècle, qui fut érigé en plein pendant l’essor industriel du Grand-Duché, le facteur d’orgues a réalisé de nombreux accords.
Depuis l’âge de 25 ans, le Luxembourgeois exerce cette profession rare et spécifique. Passionné depuis son adolescence par la musique «majestueuse» et «noble» des orgues, Laurent Anen décide très rapidement de se former dans ce métier. «Un jour, un ami m’avait prêté un livre sur la facture d’orgue que j’avais adoré. Au départ, j’étais plutôt parti pour réaliser des études techniques classiques. Mais à l’époque, je jouais de l’orgue et je trouvais ça intéressant d’allier le côté musical de l’instrument et le côté technique qui relie plusieurs domaines comme la mécanique, l’électrique, l’électropneumatique, la pneumatique ou encore l’architecture ou l’acoustique», confie-t-il.
Alors pendant trois ans et demi, il suit un apprentissage en Allemagne. «J’ai décidé ensuite d’y travailler durant encore trois ans, ce qui m’a permis de connaître un peu plus l’orgue allemand. Je suis allé, ensuite, en France où j’ai travaillé durant dix-sept ans au sein de l’atelier du facteur d’orgues Bertrand Cattiaux. En 2021, j’ai décidé de revenir au Luxembourg où je suis, depuis, indépendant», explique-t-il.
Pour devenir un facteur d’orgues aguerri, Laurent Anen a dû acquérir entre dix à quinze ans d’expérience. Alors depuis le début de sa carrière, il a multiplié les sollicitations pour restaurer, construire, réparer ou accorder des orgues. Une pluralité des missions que l’on retrouve également dans la profession elle-même de facteur d’orgues. «Le métier est basé sur le travail du bois. Mais, il faut savoir aussi travailler la peau, c’est-à-dire le cuir, les métaux doux et ferreux. On fait aussi du dessin technique, le calcul des instruments, de l’harmonie pour faire sonner les tuyaux», détaille le facteur d’orgues.
«Il y a des hauts et des bas»
Dans son quotidien, Laurent Anen peut restaurer des orgues abîmés, mais aussi les fabriquer. «C’est ce que je faisais lorsque je travaillais en France et en Allemagne. Déjà, il faut savoir que nous ne sommes pas seuls à travailler sur un orgue au vu de la taille des instruments», précise-t-il. Mais alors comment fabrique-t-on un orgue?
Un facteur d’orgues doit respecter plusieurs étapes. Il se rend, tout d’abord, dans l’édifice pour s’imprégner du style de l’église. Puis, il teste l’acoustique et la réverbération. Il détermine le style de l’orgue, s’il n’est pas déjà souhaité ou demandé par des instances locales. Il fixe la taille de l’instrument et les jeux (les différentes sonorités). «Tout cela est adapté en fonction de la taille de l’édifice. On crée enfin un buffet qui est la partie visuelle de l’instrument que l’on présente souvent sous forme photoréaliste inséré dans le lieu», raconte-t-il. Une fois le projet terminé, c’est à l’issue d’un appel d’offres que le facteur d’orgues est choisi. «Parfois, nous avons beaucoup de projets qui tombent à l’eau, mais ce sont les règles», regrette Laurent Anen.

Dans le cas où le projet est validé, la fabrication de l’orgue peut commencer. «On réalise le dessin technique, puis on fabrique l’orgue. On le monte ensuite complètement dans l’atelier parce qu’il y a quand même des milliers de pièces. Puis, il est démonté et remonté à l’église. Tout cela prend environ un an à un an et demi de travail pour un orgue de taille moyenne et selon les capacités de l’entreprise», explique-t-il.
Si la demande de fabrication d’orgues existe aujourd’hui, celle-ci reste soumise à certains obstacles. «Il y a des hauts et des bas, car un projet de cette envergure demande un certain budget derrière. Il faut savoir aussi qu’une fois que l’orgue est restauré ou construit, il ne faut pas y revenir tout de suite. Il faut bien sûr l’entretenir régulièrement comme tout instrument de musique, mais on dit souvent que l’on construit pour 100 ans, alors le prix reste relatif.»
«La relève est un peu difficile»
Au cours de sa carrière, Laurent Anen a réalisé de nombreux projets de haute envergure. En 2021, il a participé au dépoussiérage de l’orgue de la chapelle du château de Versailles. «Avec le temps, cet orgue avait beaucoup été modifié et dégradé. Aujourd’hui, le buffet reste d’origine, mais la partie instrumentale est une reconstruction de l’instrument de 1762», explique le facteur d’orgues.
Plus récemment, il a pris part au démontage et à l’harmonisation de l’orgue de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. «Nous étions deux pour la partie harmonie. Avec mon collègue japonais, nous avons remis en son l’orgue pendant quelques mois durant la nuit. Nous faisions cela à ce moment-là, car la journée, on ne pouvait rien entendre avec le bruit du chantier», se souvient-il. Un projet important pour ce facteur d’orgues qui connaissait déjà l’orgue de Notre-Dame. «J’ai participé à l’accord général en 2010 puis, quelques années plus tard, à la grande révision de l’instrument (…). Fort heureusement, l’orgue n’a pas été abîmé par l’incendie. Malgré tout, beaucoup de poussière de plomb s’est engouffrée dans l’instrument (…). Mais il est vrai que lorsque je l’ai réentendu, c’était un moment émouvant.»
Des émotions que cet artisan éprouve parfois en participant lui-même à la réalisation d’un instrument. «On laisse une trace, et cela, pour au moins quelques générations.» Mais aujourd’hui, les jeunes s’intéressant à cette profession se font rares. «La relève est un peu difficile. La grande majorité qui réalise un apprentissage dans ce domaine ne reste pas. C’est un métier qui fonctionne, seulement si on est passionné. Pour le grand public, l’orgue a une réputation qui lui colle à la peau, d’être un instrument de musique d’église, alors qu’il a sa propre littérature, comme peut l’avoir le piano», conclut-il.
