L’ambassadeur d’Italie au Luxembourg, Stefano Maria Cacciaguerra Ranghieri, tire sa révérence à un pays qui l’a «enthousiasmé». En poste à Luxembourg depuis janvier 2013, le diplomate quittera ses fonctions lundi prochain. L’ambassadrice d’Italie en Slovénie, Rossella Franchini Sherifis, lui succèdera.
Le Quotidien : Votre mandat au Luxembourg touche à sa fin. Qu’en retiendrez-vous?
Stefano Maria Cacciaguerra Ranghieri : Ce fut, pour moi, un grand plaisir et un honneur d’avoir exercé les fonctions d’ambassadeur d’Italie durant ces années. J’ai constaté d’importants points de ralliement entre les positions diplomatiques luxembourgeoise et italienne sur de nombreux dossiers. Que ce soit entre le Premier ministre Xavier Bettel et le président du Conseil des ministres Matteo Renzi, voire avec leurs ministres respectifs des Affaires étrangères, Jean Asselborn et Paolo Gentiloni, je me félicite de la convergence totale de vues. Dans ce cadre, je salue les deux déplacements du Premier ministre Xavier Bettel à Rome et suis très reconnaissant envers le ministre Asselborn d’avoir visité un camp de réfugiés à Lampedusa au début de la présidence luxembourgeoise de l’UE.
Nos visions se rejoignent, en effet, aussi bien sur l’avenir de l’Union européenne (UE), que sur celle de l’intégration d’une UE proche du peuple. De nombreuses et importantes opportunités de dialogue ont pu se concrétiser, entre autres dans le cadre du trio de la présidence tournante du Conseil de l’UE, Italie-Lettonie-Luxembourg.
Vous évoquez une vision commune concernant l’avenir de l’UE à 27, à la suite du vote, le 23 juin, des Britanniques en faveur d’une sortie de l’UE. Un sommet se tiendra vendredi à Bratislava pour traiter cette question. Quelle est la clé de ce moment charnière pour l’Europe?
Tous les Européens s’interrogent sur l’avenir de l’UE et tous ont la conviction que l’UE ne traverse pas un moment facile. Une première feuille de route a été tracée à Ventotene entre Matteo Renzi, Angela Merkel et François Hollande.
Il y a un besoin de dialoguer franchement afin de parvenir à des positions convergentes sur des thèmes parallèles. Je pense, d’une part, à tout ce qui relève de l’économie et du commerce et, d’autre part, à ce qui est propre à l’intégration plus spécifiquement politique. Mais bien que tout cela prenne du temps, l’UE doit songer à une autre gouvernance, en y associant le Parlement européen et les Parlements nationaux. Il faut être optimiste pour le futur de l’Europe. Le progrès n’est pas une illusion!
Le Brexit aura-t-il une influence sur les relations bilatérales italo-britanniques?
Le Brexit est inévitablement un événement traumatique, mais le peuple britannique a fait son choix et je lui adresse mes meilleurs vœux. Il faudra voir, après les négociations, ce qu’il adviendra des relations avec l’UE. Je suis convaincu que le Royaume-Uni restera un partenaire fondamental en Europe et dans les relations transatlantiques. En ce qui concerne la grande communauté d’Italiens vivant, étudiant et travaillant à Londres, je pense qu’elle n’aura rien à craindre, car Londres a vocation à être une ville internationale et elle restera à la hauteur de ce point de vue-là.
Quel état des lieux faites-vous à propos de la crise des migrants et notamment de la route libyenne qui est empruntée par ces derniers?
Seule une solution multilatérale serait viable, associant l’Italie, l’UE et toute la communauté internationale. La solution, en Libye, ne peut passer que par une grande entente entre les États-Unis, l’ONU et l’UE. L’Italie espère, en tout cas, que le gouvernement libyen pourra se consolider à l’avenir, en se libérant de la présence résiduelle des terroristes de l’État islamique dans l’enclave de Syrte.
Dans ce dossier des réfugiés, que pensez-vous de l’accord UE-Turquie?
Je constate qu’il fonctionne malgré la grave crise produite par le coup d’État. La Turquie reste évidemment un partenaire fondamental pour l’Europe, mais j’espère que les droits humains seront scrupuleusement respectés par les autorités turques en évitant les abus possibles dans une situation d’émergence. Par ailleurs, je rappelle que le ministre Gentiloni a proposé à l’UE l’adoption d’un instrument similaire, le « Migration Compact » : des fonds destinés à investir et à agir dans les pays d’Afrique pour gérer les flux migratoires à long terme.
Justement, en Italie, comment est perçu le terrorisme islamiste?
Les attentats qui ont eu lieu à Paris, Bruxelles, Nice ou encore à Tunis ont fortement touché les Italiens. Notre gouvernement exerce avant tout une action de prévention qui s’est concrétisée aussi avec des expulsions ciblées.
Votre pays a été confronté, le 24 août, à un séisme meurtrier, qui a donné naissance à une polémique selon laquelle l’État n’indemniserait pas les victimes…
Lorsque de tels évènements dramatiques se produisent, il est normal que des réactions polémiques se manifestent. Toutefois, force est de constater que ces polémiques se sont vites tues au nom de la solidarité. L’Italie a déjà été frappée par des séismes et on a bien retenu les leçons du passé. On a pu constater la gestion efficace de la crise de la part de la Protection civile, des pompiers des forces militaires et de volontaires civils.
Je profite de l’occasion pour saluer et remercier toutes les formes de solidarité, dont celle de la Croix-Rouge luxembourgeoise, qui nous a notamment proposé une équipe cynotechnique. De plus, je remercie Xavier Bettel, Mars Di Bartolomeo (le président de la Chambre des députés) et Lydie Polfer (la députée-maire de Luxembourg) d’avoir signé notre livre de condoléances, ici, à l’ambassade.
L’ambassade a-t-elle été fortement sollicitée par des concitoyens à la recherche de proches disparus?
Non, et ce certainement grâce aux nouvelles technologies sur lesquelles les gens ont pu compter. Ce qui ne fut évidemment pas le cas en 1980, lors du terrible séisme du sud de l’Italie, alors que j’étais moi-même en poste dans le New Jersey, où vit une grande communauté italienne.
L’Italie s’apprête, en novembre, à organiser un référendum capital sur une réforme du bicamérisme, lors duquel les électeurs pourraient désavouer Matteo Renzi. Quelle lecture en faites-vous?
La réforme du Sénat ne date pas d’hier et elle a été longuement réfléchie. La Chambre des députés reste la seule chambre ayant le pouvoir décisionnel, sauf pour des compétences spécifiques très limitées, notamment celles régionales. Ce référendum vise à une simplification de la vie institutionnelle, en permettant de réduire les délais dans le processus décisionnel. À mon avis et contrairement à ce qui a été dit, le destin de Matteo Renzi n’est pas lié à ce référendum.
Pensez-vous tout de même que le gouvernement puisse basculer avec la montée en puissance du parti du Mouvement 5 étoiles qui a remporté Rome et Turin aux dernières municipales?
La nouvelle maire de Rome, Virginia Raggi, n’aura en tout cas pas la tâche facile, car la capitale est une ville très difficile à diriger, avec la multitude de problèmes qui la caractérise. Si celui qui apparaît comme le leader de l’opposition, Luigi Di Maio, peut faire basculer le gouvernement? Je n’ai pas de boule de cristal…
Matteo Renzi a rencontré le président chinois, Xi Jinping, au G20 et visité l’université de Shanghai. En quoi était-ce important?
L’Italie et la Chine ont d’intenses relations commerciales, tant au niveau des produits alimentaires, des autres produits « made in Italy » qu’au niveau sportif. Regardez le club de football du Milan AC qui a été récemment racheté par un investisseur chinois.
Revenons au Luxembourg. Quel regard avez-vous porté sur l’affaire LuxLeaks?
J’ai eu beaucoup de chance et ça a été un grand honneur de vivre au Luxembourg dans un contexte de tels changements. Le gouvernement luxembourgeois a opté pour la transparence. J’ai eu le privilège de suivre de près les contacts entre les ministres Pierre Gramegna et Pier Carlo Padoan, lorsque le Luxembourg est sorti de la liste noire des paradis fiscaux. Une décision qui a eu des retombées positives sur les échanges commerciaux bilatéraux. De plus, le Luxembourg est un pays avec un grand potentiel et une vision, notamment au niveau de sa volonté de diversification de son économie en soutenant l’innovation, la science ou encore la logistique. Sans oublier les projets spatiaux du ministre Étienne Schneider.
La communauté italienne s’est-elle agrandie au cours des dernières années?
Cinq mille nouveaux ressortissants italiens sont arrivés au Grand-Duché depuis 2013. La communauté italienne enregistrée chez nous représente aujourd’hui 28 000 personnes qui s’ajoutent à la communauté historique d’origine italienne, aujourd’hui parfaitement intégrée.
Le salon Italia Dimensione s’ouvrira le 23 septembre. Quelles en seront les nouveautés?
Je ne serai déjà plus en poste, mais je peux annoncer que les itinéraires culturels italiens seront à l’honneur à l’image de la Via Francigena, voie romaine de pèlerinage vers Rome et après vers la Palestine. Les itinéraires culturels sont des instruments de promotion du tourisme durable. La promotion de produits provenant d’Italie en général sera bien évidemment également à l’honneur.
Vous quitterez vos fonctions la semaine prochaine. Quel est votre meilleur souvenir au Luxembourg?
Il y en a plusieurs. Je pense à la grande accessibilité informelle du gouvernement luxembourgeois avec lequel j’ai pu avoir des rapports humains très aisés et qui fait un travail admirable. D’autre part, je me réjouis d’avoir pu restructurer l’ambassade en réorganisant le consulat, le tout dans une ambiance très agréable. Par ailleurs, il s’agissait, pour moi qui arrivais des États-Unis, de mon premier poste de diplomate en Europe. J’ai trouvé au Luxembourg une certaine vitalité, sans parler du multiculturalisme qui y règne : la transition s’est parfaitement déroulée. De plus, j’ai fortement apprécié le dialogue interparlementaire entre Mars Di Bartolomeo et son homologue italienne, Laura Boldrini, au sujet de l’avenir fédéral de l’UE. Enfin, je retiens la création de la task force, en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale, pour les cours d’italien.
Et votre plus mauvais souvenir?
Je regrette infiniment d’avoir dû fermer l’Institut culturel italien pour des raisons budgétaires… Mais nous attendons la création d’un poste d’attaché culturel.
Y a-t-il d’autres chantiers?
L’espace et la technologie. Je pense à l’exposition « Memoria/Futuro », exposition interactive très avancée technologiquement qui s’est tenue à Belval. De plus, je me remémore la conférence donnée par notre ministre de l’Économie et des Finances, Pier Carlo Padoan, la première de ce genre dans le nouvel Athénée de Belval : ces deux évènements furent d’un grand intérêt pour le Luxembourg et pour son université à qui je prédis un grand avenir!
De quoi votre avenir sera fait?
Je quitterai officiellement mes fonctions le 15 septembre et ferai valoir mes droits à la retraite en fin d’année. Après, on verra, mais je resterai actif en m’investissant dans des sujets « paradiplomatiques ». Tout ce que je peux dire, c’est que Rossella Franchini Sherifis, qui vient de l’ambassade d’Italie en Slovénie, me succédera. Il s’agira de la première ambassadrice d’Italie de l’histoire du Luxembourg.
Si un seul mot suffisait pour traduire votre mandat au Luxembourg, quel serait-il?
L’enthousiasme : j’ai véritablement été enthousiasmé par le Grand-Duché!
Claude Damiani