L’album choisi cette semaine par Le Quotidien est celui de Benny Sings, Young Hearts, sorti le 24 mars sur le Label Stones Throw.
Parmi les mecs les plus cools de la pop dite «alternative», celle modeste, sans strass ni paillette, deux dominent l’examen : le Canadien Mac DeMarco et le Néerlandais Benny Sings. Rien d’étonnant à les voir régulièrement ensemble, notamment sur disque, tous deux répondant sensiblement aux mêmes dispositions : un penchant pour la pop câline parfois absurde, un amour pour la Californie (et ses mélodies solaires) et un côté ludique, quasi enfantin, d’aborder la musique. Un duo un peu looser mais au grand cœur, productif et inspiré pour raconter les peines et les amours fugaces.
C’est dans son home studio à Amsterdam que le chanteur et producteur hollandais concocte des mélodies «feel good», encore peu appréciées comme il se devrait, en tout cas pour ceux qui habitent loin des canaux et de Los Angeles. C’est bien dommage. Le garçon a déjà derrière lui une belle discographie, faite d’albums où on le voit poser notamment avec un chat, un chien ou des potes. Young Hearts est même son neuvième au compteur, sur lequel il garde un sens certain de la décontraction : survêtement en toile, cheveux dans le vent et pose saugrenue. Tranquille.
Voilà deux décennies que le vieux garçon, 46 ans, s’amuse derrière les machines ou avec une basse, sur scène (son premier groupe, ça ne s’invente pas, s’appelait The Loveboat) ou à l’ombre des studios, cherchant à faire évoluer son style, déjà posé à ses débuts, mais bien plus affirmé aujourd’hui. Sa pop, généreuse et élégante, emprunte en effet à tout-va : au disco des Bee Gees (surtout dans la voix), au R’n’B des années 1970, à la soul langoureuse, à la pop mélancolique et même au hip-hop, sa première passion. À preuve, deux savoureuses compilations (Beat Tape I et II) et une signature sur le célèbre label Stones Throw, qui a écrit de belles pages de l’histoire du rap.
On reste d’ailleurs dans le domaine avec Young Hearts, pour lequel Benny Sings s’est appuyé sur les services d’un seul et même producteur, mais pas n’importe lequel : Kenny Beats, pourvoyeur de sons pour Freddie Gibbs, Vince Staples et Denzel Curry. Adepte lui aussi du grand écart (il a reçu un Grammy pour son travail avec IDLES), ça ne pouvait que coller entre les deux. Le Néerlandais voulait donner plus de corps et de puissance à ses chansons. Qu’elles sonnent plus grand. Ce à quoi le «beatmaker» a répondu, sans fausse modestie : «Je peux te donner cette claque supplémentaire !»
Si Tim van Berkestijn (de son vrai nom) a choisi de changer son nom en quelque chose de plus chantant, et cherche aujourd’hui à lui donner de l’ampleur, il reste pour autant fidèle à sa délicatesse et ne le siffle pas sur tous les toits. Les dix chansons de ce (court) dernier album le démontrent : sur une ossature solide, Benny Sings trimballe son rôle «d’anti-héros», comme il le définit, et chante son cœur qui bat la chamade, souvent seul, bien qu’accompagné ici sur deux titres par la chanteuse Remi Wolf (notamment sur une enivrante bossa-nova, Pyjamas).
Comme pour Music, son prédécesseur (2021), Young Hearts est un objet rassurant, relaxant. Une sorte de médecine douce. Benny Sings le souhaite, croyant aux aimables vertus de sa musique : «J’espère que quelqu’un écoutera ces chansons et se dira : « Je ne suis pas Superman, mais je peux peut-être sauver la situation »», peut-on lire sur le site de Stones Throw. Son pouvoir à lui serait sûrement la délicatesse. Dans un monde en colère, elle fait un bien fou.