Alors que la pluie se fait désirer cet été, les agriculteurs luxembourgeois jonglent avec les réserves de l’an passé pour survivre.
Du brun à perte de vue. Depuis la ferme Wester située à Hesperange, les champs et prairies se mêlent et s’emmêlent, touchés de plein fouet par un soleil de plomb qui n’en finit plus de briller sur le Luxembourg depuis plusieurs semaines.
C’est simple, tout a brûlé. L’herbe verte a laissé place à un sol roussi, et empêche tout pâturage depuis le mois de juin. «Mai, juin et juillet ont été beaucoup trop secs pour nous, il n’y a rien qui pousse», explique Christian Wester, propriétaire de cette ferme et directeur de la centrale paysanne luxembourgeoise.
« Un bon mois que l’on vit sur les réserves de l’an passé »
Les vaches restent dans les étables et se nourrissent exclusivement des réserves de l’année dernière. «Cela fait un bon mois que l’on vit sur les réserves de l’an passé. Ça diminue assez vite, mais nous n’avons pas le choix», confie l’agriculteur, qui laisse ses vaches à l’étable et estime que son secteur est le «premier concerné par le changement climatique».
Un corps de métier qui n’a en effet eu de cesse d’évoluer en fonction des aléas de la météo depuis plusieurs générations. Dans la famille Wester, le père, le grand-père et l’arrière-grand-père peuvent témoigner des changements vécus au cours des décennies : des printemps humides, des hivers rudes, des étés pluvieux…
Jongler entre les extrêmes
«Nous savons que notre travail doit jongler avec la météo, ça a toujours été le cas. Le seul problème maintenant, c’est que l’on passe d’un extrême à l’autre, c’est surtout ça qui est difficile», explique Christian Wester en se remémorant les pluies torrentielles de l’été 2021, qui, là aussi, lui ont donné du fil à retordre.
«C’est encore plus stressant quand il pleut, parce que cela nous laisse très peu de temps pour la récolte. Là, l’avantage de la chaleur, c’est qu’on a pu prendre notre temps pour récolter. Les quelques gouttes qui sont tombées dernièrement n’ont pas vraiment aidé, juste rafraîchi un peu», explique l’agriculteur.
Jongler entre les extrêmes, un «challenge» que le trentenaire, qui a repris l’entreprise familiale avec son frère il y a quelques années, est prêt à relever. «On devient beaucoup plus prévoyant qu’auparavant. Quand ça pousse, on anticipe et on garde une bonne partie en réserve, au cas où la saison suivante ne soit pas bonne. Les récoltes étaient plus homogènes à l’époque aussi, là ça fluctue beaucoup plus.»
Pas de soucis d’eau «pour l’instant»
L’année 2022, avec ses vagues de chaleur et un déficit de précipitations, s’annonce comme une année de sécheresse record. Les cours d’eau du pays en souffrent et présentent des niveaux extrêmement bas, certains sont même à sec.
Un manque d’eau dont ne semble pas souffrir, «pour l’instant», Christian au sein de sa ferme : «Nous n’avons pas de soucis d’eau, nous sommes raccrochés au réseau communal et avons ce qu’il faut. On s’en sert surtout pour donner à boire à nos vaches, qui consomment quand même entre 40 et 120 litres d’eau par jour et pour nettoyer les machines à traire», détaille-t-il.
Pour rappel, le mois de juillet dernier a été le troisième plus sec jamais connu au Luxembourg, selon les données de MeteoLux. Le record absolu est pour l’heure détenu par le mois de juillet 1949.
Une «autre agriculture»
Une adaptation constante, qui concerne également les choix de cultures produites. «On va privilégier des variétés d’herbes qui supportent un peu mieux la chaleur, comme des trèfles par exemple ou d’autres mélanges de semence plus résistantes», souligne Christian Wester. Des interrogations qui n’existaient pourtant pas il y a quelques années. «C’est une autre agriculture», sourit-il.
Il n’hésite pas non plus à augmenter sa surface de forage, lui qui possède déjà 200 hectares d’exploitation à Hesperange. Une surface plus développée, pour tenter d’augmenter ses récoltes et surtout pour rester autonome dans sa production. «De toute manière, si je ne m’adapte pas, cela me coûtera encore plus cher», souligne-t-il en haussant les épaules et en concluant plus sérieusement : «Vous savez, ce n’est pas ça le pire pour l’agriculture au Luxembourg. C’est surtout l’incohérence de la politique, qui reste campée sur ses idées très idéologiques et éloignées du terrain. Alors, si un jeune agriculteur se lance maintenant, qu’il sache une chose : il lui faudra beaucoup de courage et de motivation!» Le message est clair.
L’Europe en manque de maïs
La chaleur et la sécheresse vont, comme redouté, affecter la production mondiale de maïs, particulièrement en Europe et aux États-Unis, partiellement compensée par la Russie et l’Ukraine, selon les prévisions du ministère américain de l’Agriculture (USDA).
En Europe, la production devrait chuter de 8 millions de tonnes à 60 millions avec un besoin d’importations supplémentaires de 3 millions de tonnes à 19 millions. «L’Europe est mal en point sur le maïs parce qu’on va en importer plus», a commenté Gautier Le Molgat, analyste au cabinet Agritel.
«Le climat a dicté ces reculs de production en Europe et aux Etats-Unis et cela était attendu. Il y a eu des températures record en Europe et dans les plaines américaines», ajoutait Jason Roose d’US Commodities.
L’USDA a ainsi listé les pays où les épisodes «d’extrême chaleur et sécheresse» ont réduit les perspectives de récolte comme «en Roumanie, en Hongrie, en France, en Italie, en Espagne, en Bulgarie et en Allemagne». En revanche, le rapport a solidement révisé en hausse (de 5 millions de tonnes) la production de maïs de l’Ukraine qui devrait pouvoir exporter 3,5 millions de tonnes de plus, soit 12,5 millions.
Pour le blé, c’est la Russie qui prend le devant de la scène avec une production augmentée de 6,50 millions de tonnes à 88 millions, selon l’USDA.
«On s’y attendait», a assuré Dewey Strickler. Les Russes vont pouvoir exporter 2 millions de tonnes supplémentaires à 42 millions et «prendre la place de numéro un en termes d’exportations», soulignait Gautier Le Molgat. L’Union européenne, elle, devrait perdre deux millions de tonnes de production par rapport aux projections de juillet, à 132 millions.