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L’affaire Dieschbourg, le cas d’école


L’ancienne ministre Carole Dieschbourg a eu une journée pour mûrir sa décision avant d’annoncer sa démission, prenant les députés de court et réclamant un procès équitable. (Photo : Anne Lommel)

Si le principe de l’égalité des armes n’est pas respecté, l’avocat de l’ancienne ministre de l’Environnement prévient que l’affaire sera portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Les politiques paient aujourd’hui leurs atermoiements, dix ans durant, à moderniser un texte qu’ils savaient non seulement complètement désuet, mais surtout inapplicable en l’espèce. Ce qu’on appelle un vide juridique qu’il ne faut pas tarder à combler, en général. L’affaire Dieschbourg les met aujourd’hui dans une position très inconfortable.

Dix ans après l’affaire d’extorsion dans le dossier Wickrange/Livange dans laquelle le ministre de l’Économie de l’époque, Jeannot Krécké, était poursuivi, les députés sont confrontés au même problème qu’ils avaient soulevé en 2012 dans leur résolution, à savoir «que dans un État de droit, il ne saurait y avoir de confusion entre les rôles respectifs du Parlement et de la justice» et que «la mise en accusation de tout citoyen devra relever du pouvoir judiciaire».

Le pouvoir judiciaire, en l’absence de tout autre acte législatif, sauf ces articles poussiéreux de la Constitution datant de 1868, n’a eu d’autre choix que de transmettre le dossier Dieschbourg à la Chambre des députés, afin qu’elle fasse usage de son droit d’accuser les membres du gouvernement.

En attendant qu’une loi détermine «les cas de responsabilités, les peines à infliger et le mode de procéder, soit sur l’accusation admise par la Chambre, soit sur la poursuite des parties lésées», la disposition transitoire de l’article 116 de la Constitution s’applique. Il donne à la Chambre des députés un «pouvoir discrétionnaire» pour accuser un membre du gouvernement, alors que «la Cour supérieure, en assemblée générale, le jugera, en caractérisant le délit et en déterminant la peine».

La démission n’a rien changé

Une procédure que les députés se réjouissaient de voir modifiée il y a dix ans, dans cette même résolution «Krecké», pour être adaptée aux réalités du XXIe siècle. Rien n’a bougé depuis. Et c’est la raison pour laquelle l’ex-ministre Carole Dieschbourg a présenté sa démission, pour espérer être jugée comme tout justiciable ordinaire.

À l’heure où les députés se sont vu refiler le dossier du parquet concernant l’affaire Roberto Traversini et sa cabane de jardin, ils se sont retrouvés le bec dans l’eau. Quand le parquet a transmis le dossier, Carole Dieschbourg était encore ministre. Elle avait juste été prévenue un jour plus tôt du passage de relais au Parlement, par la ministre de la Justice et camarade de parti, Sam Tanson, elle-même alertée par la procureure générale d’État de la sortie imminente d’un communiqué de presse.

Rien d’illégal, sauf à créer l’infraction de «faux pas» que lui reproche aujourd’hui l’opposition chrétienne-sociale, s’appuyant sur un avis juridique de Me Gaston Vogel. Carole Dieschbourg a eu le temps de peser sa décision avant de jeter son tablier.

La Chambre n’est donc plus amenée à juger une ministre, mais une ex-ministre. Qu’à cela ne tienne, la jurisprudence constante en la matière l’y autorise. Si Carole Dieschbourg comptait contourner la Constitution et éviter une instruction menée par les députés, c’est raté. Ou du moins pas encore.

Une jurisprudence, ça se renverse

Non seulement la majorité n’est plus certaine d’être compétente en la matière et demande à entendre d’autres experts avant de décider du sort de l’ex-ministre, mais encore Me François Prüm, l’avocat de Carole Dieschbourg, met en garde. S’il relève dans ce dossier la moindre entorse au principe d’un procès équitable, il portera l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, comme il l’expliquait à nos confrères de la radio 100,7 vendredi matin.

Le parquet, lui-même, a alerté les députés sur le principe de l’égalité des armes, sans en dire davantage. Carole Dieschbourg, qui veut affronter les juges, a le droit d’être entendue comme tout autre protagoniste de ce dossier, dans les mêmes conditions et par les mêmes enquêteurs.

Pour l’heure, l’ancienne ministre écolo n’a toujours pas accès à son dossier, une autre décision que les députés doivent prendre dans une résolution qui aurait dû être fin prête avant les vacances. La valse-hésitation de la majorité en a décidé autrement et un revirement de jurisprudence n’est pas exclu.

À ce stade, il faudrait que le parquet général revienne sur sa décision et se déclare compétent pour juger Carole Dieschbourg, au cas où la Chambre des députés se déclarerait finalement incompétente, après avoir prétendu le contraire, il y a deux semaines de cela. Sinon, c’est le blocage total.

L’ancienne ministre de l’Environnement a toujours déclaré ne rien avoir à se reprocher dans ce dossier où elle est soupçonnée de favoritisme. Son administration a accordé une autorisation ex post au député-maire écolo de Differdange qui avait entrepris des travaux sur un chalet de loisir, sans autorisation, dans une zone verte.

La vitesse avec laquelle la situation a été redressée pose question. Carole Dieschbourg veut y répondre.