En commission, les députés examineront «point par point» la proposition de loi que l’association a défendue ce mercredi, pour mieux protéger les victimes de violences.
«Nous avons été entendues, et je suis réellement confiante pour la suite. Aujourd’hui, des promesses ont été faites publiquement. On ne lâchera rien!», lance Ana Pinto, présidente de l’association La Voix des Survivant-e-s, à la sortie du débat public sur la protection des victimes de violences organisé hier avec les députés et membres du gouvernement.
Fruit d’un an de travail, la proposition de loi rédigée par les avocates et juristes bénévoles de l’asbl avait fait l’objet d’une pétition à l’automne 2024 visant à l’amener jusqu’à la Chambre des députés.
Ce mercredi, face à une vingtaine de parlementaires de tous bords politiques et aux ministres Yuriko Backes (Egalité et Diversité) et Elisabeth Margue (Justice), six membres de l’association ont donc porté haut et fort la voix de ceux et celles qui ont subi un traumatisme et ne se sentent ni en confiance, ni protégés par les institutions au Luxembourg.
Changer le Code pénal
Sur base de nombreux témoignages et en s’inspirant des bonnes pratiques à l’étranger, la proposition contient 57 articles visant notamment à inclure de nouveaux éléments dans le Code pénal, comme la violence psychologique, la violence économique ou le contrôle coercitif.
L’association plaide aussi pour la formation de toutes les personnes au contact de victimes, la criminalisation du harcèlement moral et sexuel, l’introduction d’une helpline accessible en continu et d’une assistance juridique initiale gratuite.

La délégation aux côtés des ministres Margue et Backes, et de la députée Francine Closener.
Des failles dans les services existants
Les députés, qui ont tous salué l’incroyable travail mené par ces bénévoles, se sont montrés très respectueux et à l’écoute, chacun reconnaissant les efforts restants à déployer pour améliorer la prévention, les sanctions et la prise en charge des victimes au Luxembourg.
Leurs questions se sont concentrées sur les services existants, certains se demandant pourquoi ils ne suffisent pas.
Ainsi, sur le nouveau Centre national pour victimes de violences, Stéphanie Makoumbou a signalé qu’une nette séparation entre adultes et enfants serait souhaitable, tout comme des horaires étendus et la possibilité d’effectuer des prélèvements gynécologiques sur place en cas de viol.
Sur le service Umedo, basé à Dudelange et destiné à recueillir des preuves biologiques des violences subies, Ana Pinto a déploré que cette unité n’accueille pas les mineurs et reste largement méconnue.

La question de la protection des enfants a également occupé le débat, l’association dénonçant l’obligation pour une petite victime de rester en contact avec son agresseur.
«Oui, le Treff-Punkt est conçu comme un lieu sûr, mais l’enfant ne devrait jamais être forcé à voir le parent auteur de violences. C’est extrêmement traumatisant, surtout en cas d’abus sexuels», a fait remarquer Marzenka Krejcirik.
L’exemple français
La commission Ciivise mise en place en France après les scandales de pédocriminalité dans l’église a été citée en exemple. Avec un juge reconnu à sa tête, elle a parcouru le pays pour entendre des milliers de victimes abusées dans l’enfance.
Une collection qui a abouti à un rapport et des recommandations. «Le Luxembourg doit se doter de ce type d’outil», a réclamé Marie-Laure Roland, vice-présidente.
Un tribunal spécialisé
Au-delà de ces mesures, la priorité numéro un réside dans l’instauration d’une juridiction exclusivement dédiée aux affaires de violences intrafamiliales, a martelé Ana Pinto, à l’image de ce qui a été mis en place en Espagne dès 2005.
«Il nous faut absolument un tribunal spécialisé avec des juges formés pour ça. Cela éviterait des années de procédure qui, le plus souvent, n’aboutissent pas.»
L’asbl propose aussi une augmentation significative des peines encourues et l’élimination du sursis automatique en cas de première condamnation, qu’elle assimile à un «permis de violer une fois».
Le principe du sursis revu
Au terme des échanges, Elisabeth Margue a pris la parole pour réaffirmer que le gouvernement fait de la lutte contre les violences une priorité. Elle a rappelé le recrutement de 92 magistrats, une augmentation «énorme» de 30% des effectifs, avant de lister ses actions en cours.
«J’ai déposé un projet de loi en janvier pour changer le principe du sursis, qui devrait être voté avant les vacances. Et plusieurs directives européennes doivent être transposées», a-t-elle indiqué, notamment sur la violence domestique et la traite des êtres humains.

Des panneaux ont été déployés devant la Chambre pour donner un visage aux victimes de violences.
Sur la formation des magistrats, elle a précisé que 43 juges recrutés cette année suivent un cursus à l’École nationale de la magistrature de Bordeaux, avec un volet spécifique sur les violences.
Des mesures accueillies «à bras ouverts»
Elle a ensuite annoncé accueillir «à bras ouverts» toute une série de propositions : «Je suis prête à intégrer les violences psychologiques et économiques dans le Code pénal, à faire du harcèlement une circonstance aggravante et à prolonger les peines. Ce qui était répréhensible il y a 50 ans a grandement évolué, le Code doit être adapté.»
Quant à un nouveau tribunal, cela impliquerait une modification de la Constitution, a relevé la ministre.
«Vous nous facilitez le travail»
En clôture du débat, la députée Francine Closener, présidente de la commission des Pétitions, a félicité la délégation.
«Vous nous facilitez le travail en tant que législateur. Comme c’est un sujet très large, vos propositions seront traitées point par point dans plusieurs commissions parlementaires, avec des suites concrètes.»
Rendez-vous en septembre
De quoi souffler dans le rang des pétitionnaires. «C’est une première victoire, car on vient de loin. Il y a encore six ans, j’étais seule et je me demandais comment faire bouger les choses», sourit Ana Pinto.
La présidente repart avec la satisfaction d’avoir obtenu des engagements sérieux.
«La ministre Margue a bien souligné la nécessité de dépoussiérer le Code pénal. En septembre, la députée Closener va appeler tous les présidents de commissions pour imposer nos mesures à l’ordre du jour des réunions. Pour moi, ça compte», réagit-elle.
«On fera le nécessaire pour y participer, car notre expertise est précieuse.»
Un plan d’action jugé «fragile»
Interrogée à propos du plan d’action «Violences fondées sur le genre» présenté lundi par la ministre de l’Égalité, Marie-Laure Rolland a estimé qu’il «a le mérite d’exister, mais reste fragile», et a pointé plusieurs points flous.
«Le recrutement de 90 magistrats est évoqué, mais combien seront affectés au traitement des violences? Des formations sont prévues dans l’Éducation nationale, mais qui va les faire, et comment être certain qu’elles correspondent aux besoins? Par ailleurs, le plan manque n’établit ni timing ni priorités.»
En réponse, Yuriko Backes a d’abord rappelé que ce plan inédit va encore évoluer, en collaboration avec la société civile, avant de justifier l’absence de timing par sa volonté de poursuivre les efforts en continu, et l’absence de priorités par son approche holistique assumée.