La Commission consultative des droits de l’homme (CCDH) a rendu son rapport sur la traite des êtres humains au Luxembourg. Le cadre législatif est là, mais le pays manque considérablement de moyens.
Deux policiers. Deux. C’est l’effectif consacré à la traite des êtres humains au sein de la police luxembourgeoise. Un manque de moyens criant qui est dénoncé par la CCDH, d’autant que l’arrivée massive de demandeurs d’asile en Europe, dont une partie non négligeable de mineurs, fait d’eux une population vulnérable susceptible de tomber aux mains des réseaux.
La traite des êtres humains, ce n’est pas quelque chose qu’on imagine au Luxembourg, et pourtant, malgré le peu de moyens consacrés à la lutte contre ce mal, des victimes sont identifiées chaque année dans un Grand-Duché bien démuni face à des réseaux très bien organisés, hiérarchisés et avec beaucoup plus de moyens. C’est le constat que fait Gilbert Pregno dans le préambule du rapport sur la traite des êtres humains au Luxembourg présenté hier à la presse. Le président de la CCDH considère la situation actuelle comme affligeante : «Nous sommes dans une période charnière. Après l’aveuglement collectif, nous réalisons enfin qu’il y a beaucoup de victimes et que nous sommes face à un réseau de crime organisé. Le cadre législatif est là, mais pas les moyens. Les victimes entament un long processus pour se sortir de l’emprise exercée sur elles, elles ont besoin d’être accompagnées.»
Le phénomène touche environ 880 000 personnes dans l’Union européenne. Au Luxembourg, entre 2010 et 2016, il y a eu au total 79 victimes, dont 45 ont été identifiées officiellement comme victimes de traite par la police. La grande majorité d’entre elles sont des femmes âgées de plus de 18 ans. On compte néanmoins également 11 victimes mineures pendant la même période. Au départ, des histoires souvent similaires. Des personnes fragiles, dans une situation précaire, à qui on fait miroiter une vie meilleure. Une fois à destination, c’est l’engrenage : les coups, une forte pression psychologique réduisent les victimes au silence.
Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les victimes sont en majorité issues des pays de l’Union européenne : 42 victimes européennes contre 33 issues d’un pays tiers (la nationalité de trois victimes n’a pas pu être déterminée). Parmi les pays de l’UE, les plus représentés sont ceux de l’Est (Roumanie, Estonie, Bulgarie) et la France. Pour ce qui est des pays tiers, le rapport note une prédominance du Brésil et de la Chine. Sans surprise, si différents types d’exploitation sont présents, la forme la plus répandue est celle de l’exploitation sexuelle. Parmi les 79 personnes comptabilisées, 60 en ont été victimes. Le rapport note cependant une augmentation des victimes d’exploitation par le travail, notamment dans le secteur de l’Horeca.
La grande majorité des auteurs viennent de l’UE
De 2010 à 2016, 33 décisions (jugements et arrêts) en matière de traite des êtres humains ont été rendues par les juridictions luxembourgeoises : de 3 à 7 décisions chaque année. Il y a eu 25 jugements, c’est-à-dire de nouvelles affaires en matière de traite des êtres humains ayant fait l’objet d’une décision judiciaire. Seulement deux jugements concernaient la traite pour l’exploitation par le travail, alors que le reste se rapportait à l’exploitation sexuelle.
Les faits condamnés ont, dans la plupart des cas, été commis par un ou deux auteurs. Environ deux tiers étaient des hommes, dont la grande majorité viennent d’un État membre de l’Union européenne et seulement un nombre restreint est originaire d’un pays tiers. Quant aux peines prononcées, le rapport met en évidence que les acquittements en la matière ont été rares. La durée des peines varie de 6 mois à 4 ans de prison (sursis exclus), et les amendes de 1 000 à 25 000 euros. On peut pourtant constater que même si les peines prononcées sont généralement supérieures à un an, la plupart sont assorties d’un sursis partiel ou intégral.
Le volet migration a aussi pris de l’importance ces dernières années avec l’afflux massif de migrants en Europe, soit plus d’un million de personnes au total. Le Luxembourg a également été touché avec une augmentation importante de demandeurs de protection internationale, des populations fragiles. Ainsi, 2 447 personnes ont demandé une protection internationale au Luxembourg en 2015, ce qui représente près du double du total des deux années précédentes. Selon l’European Migration Network, seules cinq victimes de traite d’êtres humains ont été détectées lors de la procédure de protection internationale de 2008 à août 2013 au Luxembourg.
Mais ce qui inquiète la CCDH, c’est le destin des mineurs non accompagnés, une population particulièrement visée par les réseaux de traite d’êtres humains. Europol estime que 10 000 mineurs non accompagnés ont ainsi disparu après leur arrivée en Europe en 2015. Au Luxembourg, dans une réponse à une question parlementaire en octobre dernier, le ministre de l’Immigration et de l’Asile a noté que sur 83 mineurs non accompagnés ayant présenté une demande de protection internationale du 1er janvier au 30 septembre 2016, 37 avaient disparu après avoir présenté leur demande et deux après l’introduction de celle-ci.
Pour Gilbert Pregno, les autorités ont tort de ne pas se soucier de voir que presque la moitié des mineurs non accompagnés arrivés au Luxembourg en 2016 ont disparu sans laisser de trace : «Nous ne sommes pas du tout au courant de ce qu’ils deviennent. Si pour beaucoup il y a une explication, il y a sûrement une partie d’entre eux qui tombe entre les mains de trafiquants.»
Audrey Somnard