À coup d’innovations, il a bousculé la pâtisserie, domaine de la gastronomie si longtemps sous-estimé. À 59 ans, Philippe Conticini en est la star internationale, un «poète de la pâtisserie» qui met en avant le goût et les saveurs.
Enfant puis adolescent, il avait une idée fixe : adulte, il serait propriétaire d’un restaurant. À 59 ans, il est bien plus. Philippe Conticini est la star des pâtissiers, le top du top, avec six boutiques à son nom (quatre à Paris, une à Londres et une à Tokyo). Le prince des mille-feuilles, le prophète de la pâte à chou, le démiurge du Paris-Brest, celui qui, avec la verrine, a fait passer la pâtisserie de l’horizontale à la verticale…
Né et grandi dans une famille de restaurateurs (mère en cuisine, père en salle), il a été repéré par la presse gastronomique quand il a ouvert, avec son frère chef cuisinier, un restaurant vite en vue à Paris. Il a pris son envol et, vite, est devenu le pâtissier «nouvelle vague». Il a fréquenté les émissions télé et donne rendez-vous régulièrement à ses fans pour des master class en laboratoire ou sur les réseaux sociaux.
«Je me plais avec les gens, dit-il. Je vois que, quand on est sans filtre, ça touche les gens. Je pense que les filtres, même quand on pense que ça passe bien, ça se voit toujours.» La vie ne lui a rien épargné : des jalousies professionnelles mesquines, un long séjour en hôpital avec deux mois de coma… Et Philippe Conticini, voltigeur de l’innovation, ne craint pas de mettre au même niveau pâtisserie, littérature et musique. Il est le «poète de la pâtisserie», un créateur d’émotions.
La pâtisserie a-t-elle toujours été une évidence pour vous?
Philippe Conticini : Mes parents étaient restaurateurs, c’était donc plus simple pour moi… Une chose est sûre : je me serais servi de mes mains, peu importe comment. J’ai besoin de ça. Cela aurait pu être artiste, écrivain, et j’aurais vraisemblablement réussi ma vie.
À l’âge de 11 ans, à la maison où ma mère avait des livres de pâtisserie, j’ai dit que j’avais envie de faire un gâteau. J’ai fait une génoise que j’ai coupée en deux, je l’ai imbibée avec un sirop sucré – je ne sais plus trop de quoi –, j’ai fait une crème pâtissière pralinée, ai recouvert le gâteau sur le côté avec des amandes effilées grillées et sur le dessus avec du sucre glace. Je l’ai fait goûter à tout le monde : mes parents, mes oncles, mes tantes… Tous m’ont dit : « C’est très bon. » À mon avis, ce n’était pas vrai, mais ils ont voulu me faire plaisir et je l’ai cru…
Avec des parents restaurateurs et un frère cuisinier qui prenaient toute la lumière, vous ne pouviez pas faire autre chose que ce « parent pauvre » de la gastronomie…
Après avoir repris un « routier », mes parents avaient ensuite ouvert un restaurant de bon standing en région parisienne. Rapidement, ils ont été étoilés, connus et reconnus dans le milieu. Mon univers, c’était la cuisine… À 17 ans, j’ai arrêté l’école et quand il s’est agi de travailler, je suis allé en stage en cuisine. Je ne m’y sentais pas bien et au bout de dix mois, je suis parti. Trop lent…
J’ai poursuivi l’apprentissage en cuisine d’abord chez Alain Dutournier, puis à la pâtisserie du Maxim’s de Roissy. En 1983, après mon CAP en pâtisserie, glacerie et chocolat, j’ai commencé en tant que commis pâtissier au Gray d’Albion, à Cannes, avec Jacques Chibois, que j’ai quitté, deux ans plus tard, pour rejoindre la maison Peltier. Durant toute cette période, je n’avais aucune idée du travail du goût…
En cuisine comme en pâtisserie, le seul point de repère, c’est le goût
Le goût, vous avez expliqué en avoir eu conscience lors de deux événements forts de votre vie personnelle…
Oui. La première, c’est en 1986. Mon frère me prépare une côte de cochon de lait, pas moins de dix centimètres d’épaisseur et d’un fondant exceptionnel… En bouche, j’ai ressenti mille et mille saveurs. La seconde, ce fut lors de mon séjour à l’hôpital en 2010. Après deux mois de coma, je pensais ne plus pouvoir éprouver la perception du moindre goût. On m’a apporté une purée à l’eau. Ce jour-là, cette purée avait le goût du miracle.
J’aime à dire que l’hôpital ne m’a pas tué, il a changé ma façon de voir et, donc, de travailler. Alors, j’ai compris ce qui est une évidence : en cuisine comme en pâtisserie, le seul point de repère, c’est le goût. Mais pour la pâtisserie, on ne commencera à évoquer le goût que vers 2006/2007.
En 1994, le magazine Gault et Millau vous consacre « pâtissier de l’année ». Le chef multiétoilé Joël Robuchon vous considérait comme l’un des pâtissiers « les plus doués et les plus modernes de (votre) temps »…
Peut-être parce que, je dois l’avouer, je suis très créatif. Et la créativité en pâtisserie, c’est rare. En cuisine, ils ont 40 ans d’avance sur nous, pâtissiers, pour le goût! Dans le domaine de la pâtisserie, il y avait quand même quatre exceptions pour la créativité : Pierre Hermé, Frédéric Bau, Jean-Marc Guyot et moi…
Vous aimez dire et répéter : « Je n’ai jamais été dans le moule, et je n’y entrerai jamais »…
Je suis droit et courageux. Dans le monde de la cuisine et de la pâtisserie, il ne peut pas en être autrement! Personnellement, je n’ai jamais accepté la moindre compromission. Dès mes débuts, j’ai choisi une direction et je n’en ai jamais dévié. Jamais je n’ai suivi une mode. Je suis sûrement très utopiste, mais je n’oublie jamais qui je suis. Je suis un pâtissier et je sais que je ne vais pas sauver une vie…
À un moment, vous avez pris des cours de magie. Qu’est-ce qui rapproche l’illusion et la pâtisserie?
J’avais envie de découvrir. Non pas les trucs, mais l’art de faire. Magie et pâtisserie, c’est un peu la même chose. Oui, le plus important ce n’est pas de comprendre le tour, mais de rêver…
Comment définiriez-vous une pâtisserie réussie?
D’abord, la technique n’a jamais suffi pour inventer ou créer un grand dessert. Ensuite, esthétiquement, c’est comme pour un coiffeur ou un boucher, on voit tout de suite si la personne a du talent. Je vois immédiatement ce qui découle du talent ou de la technique… et une pâtisserie réussie, c’est celle qui va impérativement procurer du plaisir.
Quand vous enfilez votre blouse blanche et entrez dans votre laboratoire, quel est alors votre objectif?
Être lisible dans tout ce que je fais… Je suis avant tout un artiste, alors si c’est juste faire un gâteau, ça ne m’intéresse pas. Quoi que je fasse, j’y mets toujours la même rigueur, la même concentration, la même attention aux détails. J’évolue tout le temps. Et je m’efforce à faire tout pour que le résultat corresponde à ce dont j’ai initialement envie.
Après bientôt 40 ans en cuisine et en pâtisserie, éprouvez-vous des regrets?
Aucun. Certes, ma vie a été faite de hauts et de bas, mais je ne veux pas regretter, je préfère me planter. Je veux entretenir l’émerveillement. Je suis toujours comme un gamin quand je découvre une cuisine ou une pâtisserie. J’ai gardé ma candeur d’enfant…
Paris-Brest version Conticini
Maître ultime ès pâtisseries, Philippe Conticini dit et répète qu’il est guidé par une idée fixe : innover. Quand, en 2009, il accepte de participer au lancement de la boutique La Pâtisserie des Rêves, il pose deux conditions, dont celle de réaliser des classiques. Dans Cochon de lait, le livre qu’il a publié en 2019, il précise : «Vous me connaissez un peu, ce n’est pas parce que j’avais décidé de faire des classiques que j’allais pour autant reléguer ma créativité au vestiaire.»
Ainsi, parmi ses premières réinterprétations, il revisite, dans une «version allégée», le Paris-Brest, gâteau mythique à base de pâte à chou et de crème pralinée et apparu à la fin du XIXe siècle en hommage à la course cycliste du même nom. Il écrit : «Comment aurais-je pu me contenter de la recette de base? Nous n’étions plus dans les années 1980! Mais maintenir la densité de la crème tout en diminuant les proportions de beurre représentait un sacré défi. Le beurre est un vecteur de goût, et si la crème tient, c’est essentiellement grâce à lui.»
«Après plusieurs essais, je finis par trouver la solution : une crème pâtissière sans farine, avec soixante-dix pour cent de beurre en moins. En la foisonnant (NDLR : alléger et augmenter le volume d’une crème ou d’une préparation en la travaillant au fouet afin d’y incorporer de l’air), je suis parvenu à créer un réseau de bulles que j’ai amplifié en introduisant de la gélatine, connue pour son phénoménal pouvoir d’émulsion. Ô miracle! La crème tenait grâce à l’air! Quant au praliné, il me suffisait de l’introduire sous forme d’insert pour qu’il reste coulant à la dégustation. Ce Paris-Brest original a remporté tous les suffrages.» Ensuite, Philippe Conticini revisita la tarte Tatin…
Cochon de lait, de Philippe Conticini. Le Cherche-Midi.