En présentant son rapport «Travail et cohésion sociale» pour l’année 2023, le Statec livre une vision globale sur l’état de la société luxembourgeoise grâce à un large panel d’indicateurs.
En 2005, le Statec présentait son premier rapport «Travail et cohésion sociale» où le premier point était considéré comme la base du second. Il y a vingt ans, l’absence de chômage de masse au Luxembourg était le moyen évident afin de préserver la cohésion sociale. Depuis, l’équation a changé. Le travail ne suffit plus, comme le démontre le 20e rapport «Travail et cohésion sociale» présentée hier et qui analyse la cohésion sociale à travers des indicateurs divers et éloignés du marché de l’emploi. Lors de la présentation des 150 pages du rapport, les auteurs ont mis la lumière sur certains chiffres qui permettent de porter un regard éclairé sur la société luxembourgeoise, sur ses avancées et ses écarts qui se creusent.
La fécondité ne cesse de chuter
«En 2023, nous avons enregistré 6 320 naissances soit une diminution d’environ 3 % par rapport à 2022», constate François Peltier, chef de l’unité population-logement du Statec. Une baisse qui n’améliorera pas la place du Grand-Duché dans le classement de fécondité de l’Union européenne. En 2022, le pays occupait la 22e place sur 27 avec une moyenne de 1,31 enfant par femme. En 2023, la fécondité a de nouveau diminué jusqu’à 1,25 enfant par femme. Un chiffre qui, avec le recul de l’âge moyen de la première maternité (31,2 ans), illustre un changement sociétal vis-à-vis de la parentalité, moins fréquente et plus tardive, surtout pour les Luxembourgeois. Pour cause, le nombre de naissances de la population étrangère est supérieur à celle des Luxembourgeoises (1,43 contre 1,09).
Moins de 2 518 euros par mois : danger
Pour la population majeure, le taux de risque de pauvreté d’un individu peut s’analyser à partir des revenus mensuels et pour 2023, le Statec estime qu’une personne est considérée comme pauvre avec moins de 2 518 euros par mois. En 2023, 120 580 personnes vivaient donc en dessous de ce seuil de risque de pauvreté selon ces prévisions. Un chiffre qui stagne puisque depuis 2022, le risque aurait à peine diminué de 0,5 point (18,3 % contre 18,8 %).
«Les familles monoparentales sont particulièrement touchées, comme on le constate depuis toujours», précise Guillaume Osier, chef de l’unité conditions de vie. L’écart entre les citoyens est parfois conséquent à l’image du taux de risque de pauvreté qui s’élève à 44 % pour les familles monoparentales contre 16 % des ménages isolés. Pourtant, les indexations des salaires de 2023 ont augmenté le niveau de vie médian par ménage de 403 euros par mois en un an.
Salaires : les frontaliers toujours derrière
Tandis qu’un salarié sur dix perçoit moins de 33 110 euros brut par an en 2023, un autre sur dix gagne plus de 135 797 euros brut par an. Le rapport précise également que les 10 % des personnes les plus riches gagnent, en moyenne, 6,7 fois plus que les 10 % des moins riches, après impôts et cotisations sociales.
Cette disparité concerne surtout les frontaliers pour qui la différence de salaire avec les Luxembourgeois résidents a augmenté en 2023. Les frontaliers ont, en moyenne, un salaire qui correspond à 71 % du salaire moyen d’un Luxembourgeois résident (contre 72 % en 2022). Une baisse qui peut interroger, d’autant plus que les résidents étrangers ont, eux, réduit l’écart en passant de 82 à 86 % du salaire moyen d’un Luxembourgeois.
Un quart des enfants exposés à la pauvreté
Pour le volet conditions de vie, «cette année, le rapport a cherché à aller au-delà des indicateurs classiques», explique Guillaume Osier. La focale a donc été portée sur les enfants, «une sous-population particulièrement exposée à la pauvreté». En 2023, 24 % des enfants de moins de 18 ans au Luxembourg (30 000 individus) habitaient dans un ménage exposé au risque de pauvreté, contre 18,8 % pour le reste de la population. Un écart qui fait tache puisqu’il était déjà à ce niveau en 2019 mais aussi car il fait du pays l’un des pires élèves de l’UE, juste derrière la Roumanie, l’Espagne, la Bulgarie et l’Italie. À noter que l’intégration du chèque service-accueil fait baisser le taux de risque de pauvreté de près de 5 points de pourcentage dans les ménages monoparentaux.
Des métiers toujours genrés…
Alors que, dans l’ensemble, la part des femmes dans l’emploi salarié a légèrement augmenté entre 2010 et 2022 (de 36 à 39 %), la ségrégation professionnelle par branche reste persistante. Dans la santé et l’action sociale, les femmes représentent trois quarts de l’emploi et deux tiers dans l’enseignement. À l’inverse, 39 % des hommes travaillent dans la construction, l’industrie et les transports, contre seulement 9 % des femmes.
… mais des femmes mieux rémunérées
Malgré la ségrégation professionnelle, le rapport démontre que les femmes sont concentrées davantage dans les branches où les salaires moyens sont élevés. À titre d’exemple, 20 % des femmes et seulement 5 % des hommes travaillent dans la santé humaine et action sociale où le salaire horaire moyen est de 34,10 euros. Dans la construction, on retrouve 16 % des hommes et 2 % des femmes pour un salaire horaire moyen de 21,60 euros. Les femmes sont également plus diplômées, ce qui leur permet même dans les branches les moins rémunératrices d’occuper des postes de «cols blancs». L’écart salarial est tel que jusqu’à 44 ans, les femmes gagnent en moyenne davantage que les hommes.
2023 en bref
– 672 050 Luxembourgeois ont été recensés en 2023.
– Emma et Gabriel sont les prénoms les plus donnés à la naissance.
– 6 % des frontaliers sont eux-mêmes de nationalité luxembourgeoise.
– 2 539 mariages et 1 359 divorces ont eu lieu.
– 26 964 personnes ont immigré au Luxembourg, contre 16 588 émigrations.
– 11 904 naturalisations ont été effectuées pour 5 831 résidents et 6 073 non-résidents.
Qu’en est-il de la culture?
Dans la préface du rapport, le Dr Serge Allegrezza, directeur du Statec, s’interroge sur la possibilité d’analyser encore plus finement la cohésion sociale à travers la dimension culturelle, pas ou trop peu prise en compte selon ses mots. «Le défi empirique de l’appréhension de la cohésion sociale n’est pas une raison d’abandonner l’ambition de mesurer la force des liens qui construisent la cohésion sociale sous ses multiples facettes, y compris culturelle (linguistique)», regrette-t-il. «C’est un sujet clivant, car il peut conduire à un débat toxique sur l’identité des Luxembourgeois versus les non-Luxembourgeois. Ce n’est pas une raison de l’esquiver.»