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La Schueberfouer, reflet de la société luxembourgeoise


(photo archives LQ)

Une semaine après son ouverture, des milliers de personnes ont déjà pu observer les décors de la Schueberfouer. En les regardant de plus près, ils signifient bien plus que cela.

«Avec une simple attention aux décors, on peut apprendre énormément de choses sur le monde qui nous entoure.» Attablé au restaurant «Chez Henriette», Steve Kayser replonge dans ses souvenirs les plus enfouis. Historien de profession, il est – depuis son plus jeune âge – animé par le monde forain. Comme pour tout bon Luxembourgeois, la Schueberfouer occupe une place importante dans son cœur.

Depuis des décennies, la plus importante foire de la Grande Région est inscrite dans le calendrier national comme l’un des rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte. Un événement festif, mais pas seulement. Les décors des manèges et attractions sont, à eux seuls, révélateurs des évolutions sociétales du Grand-Duché au fil des différentes époques. Depuis qu’il est petit, Steve Kayser les observe attentivement. Au point de les concevoir comme étant un miroir de l’évolution de la société. «J’ai toujours été admiratif de la façon dont les forains ont su s’y adapter.» 

Les décors, symboles de l’art forain

Pour comprendre cette dimension, il faut avant tout cerner le rôle d’un manège, bien au-delà de la simple attraction à sensations. «C’est une fenêtre ouverte sur l’esprit du temps, tel un voyage temporaire. On peut aussi parler d’hétérotopie, où l’on peut expérimenter des mondes différents dans un cadre sécurisé.» Des hétérotopies au sein desquelles l’esthétique des décors a toujours été influencée par les courants artistiques de l’époque.

Au XIXe siècle, les manèges étaient souvent ornés de motifs rococo, avec une abondance de dorures, de miroirs et de sculptures complexes. L’historien explique : «Les premiers manèges étaient de véritables œuvres d’art fabriquées avec un savoir-faire artisanal remarquable. Les forains employaient des techniques de peinture et de sculpture qui reflétaient les styles en vogue à l’époque».

Pour Steve Kayser, la Schueberfouer doit rester un lieu de distraction, mais surtout de dérision. Photo : alain rischard

Cette période d’opulence décorative a cependant laissé la place à une transformation radicale avec l’arrivée de la modernité. «Les années 30 ont introduit une esthétique plus sobre et fonctionnelle, en grande partie influencée par des mouvements comme le Bauhaus, où la forme suivait la fonction.»

Aujourd’hui encore, ce style reste majoritairement présent à la Schueberfouer. Les matériaux utilisés, eux aussi, ont évolué : «Le bois sculpté a progressivement été remplacé par des matériaux plus modernes comme le métal et le plastique, permettant des designs plus légers et plus durables».

Avancer avec son temps

S’adapter à son époque, c’est également savoir comprendre et intégrer les avancées technologiques. Elles ont non seulement modifié la structure des manèges, mais elles ont aussi transformé les décors eux-mêmes.

«La transition du bois aux matériaux synthétiques a permis une explosion de créativité», explique Steve Kayser. «Les forains ont pu concevoir des décors plus audacieux, plus colorés et plus complexes grâce à l’utilisation de nouveaux matériaux comme le polystyrène.»

L’éclairage a aussi connu une révolution. «Dans les années 50, l’introduction des néons a changé la donne, donnant aux manèges une allure moderne et dynamique, surtout de nuit.» Aujourd’hui, les LED dominent la scène, offrant non seulement une économie d’énergie, mais aussi une flexibilité inégalée pour créer des effets lumineux sophistiqués et immersifs.

Plus récemment, l’arrivée de la réalité virtuelle (VR) et du mapping vidéo a également marqué une nouvelle ère. «Certains manèges modernes intègrent la VR, ce qui permet aux visiteurs d’être totalement immergés dans un univers virtuel tout en restant dans l’espace physique, et ce, dès la devanture», précise Steve Kayser.

Les thèmes représentés par ces décors sont eux aussi dépendants de l’actualité et des tendances. Dans les années 60, la pop culture était éminemment présente, avec des thèmes liés à l’exploration de l’espace et maritime, l’alpinisme ou encore les Jeux olympiques. Dans les années 80, c’est la science-fiction qui fait son apparition, avec des références à Star Wars, notamment. Dans les années 90, cette science-fiction s’étend au fantastique. «Depuis les années 2000 jusqu’à aujourd’hui, l’influence des Marvel est omniprésente.» 

Une sensibilité aux bonnes mœurs

Les décors des attractions foraines ne se contentent pas de refléter les avancées technologiques. «Les décors de la Schueberfouer sont des symboles de l’évolution sociétale.» Ainsiles représentations visuelles dans les manèges ont évolué pour s’adapter aux sensibilités changeantes du public. «Dans les années 60 et 70, les manèges comme les trains fantômes présentaient souvent des scènes effrayantes, parfois violentes, qui étaient perçues comme divertissantes à l’époque», note Steve Kayser.

Ces décors incluaient parfois des images stéréotypées ou sexistes qui, aujourd’hui, ne passeraient plus. Pour preuve, l’historien se remémore les décors décadents représentant une image de la femme soumise et sexualisée, ce qui était monnaie courante il y a encore peu. Tout autant que les mises en scène humiliantes pour les ethnies victimes de la colonisation européenne.

C’est l’évolution des mentalités qui a conduit à une transformation des décors, venant désormais respecter des normes plus strictes en matière de représentation. «Les manèges actuels doivent naviguer avec précaution entre le désir de choquer, de surprendre, et le respect des valeurs contemporaines.» Les représentations violentes ou suggestives ont été progressivement abandonnées au profit de thèmes plus universels et inclusifs. «Aujourd’hui, un manège doit séduire un public plus large et plus diversifié.» 

Des défis à venir

Les forains sont aujourd’hui confrontés à un double défi : celui d’innover tout en respectant les valeurs écologiques et sociales. «L’intégration de la durabilité dans la conception des décors est devenue une priorité.» Les matériaux utilisés sont désormais choisis pour leur faible impact environnemental et les technologies d’éclairage écoénergétiques sont devenues la norme. «Les LED, les panneaux solaires ainsi que les matériaux recyclables sont de plus en plus utilisés pour réduire l’empreinte écologique des attractions», explique-t-il.

En parallèle, l’innovation continue de pousser les limites de ce qui est possible. «L’avenir des décors forains passe par l’interactivité et l’immersion», note l’historien. «Les technologies comme la réalité augmentée (AR) permettent aux visiteurs de faire partie intégrante de l’attraction, créant des expériences uniques et mémorables.»

Ces avancées technologiques doivent cependant être équilibrées avec le respect des valeurs sociales. «Les forains doivent rester attentifs aux sensibilités culturelles, en évitant les représentations qui pourraient être perçues comme offensantes ou inappropriées. Cela va être le défi pour les 5, 10, voire 20 prochaines années. Le monde forain a toujours su s’adapter et comprendre le monde qui l’entoure. Je n’ai pas de doute quant au fait qu’il y parvienne.»

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