La Stëmm vun der Strooss a permis à une centaine de personnes en difficulté de profiter des plaisirs de la Schueberfouer, ce mercredi. Récit d’un après-midi exceptionnel.
Âgée de 21 ans, Charlène navigue entre le domicile de son père, celui de sa mère et la rue. Beaucoup la rue. Depuis près de deux ans, la jeune femme tout juste sortie de l’adolescence survit en faisant la manche autour de la gare à Luxembourg et comme elle peut, elle tente de dénicher de quoi se nourrir. «Cela fait quatre nuits d’affilée que je dors dehors et je n’ai quasi rien mangé pendant ces quatre derniers jours», explique-t-elle. Durant ses journées, Charlène est la spectatrice des loisirs des autres. «Ceux qui n’ont pas d’argent ne peuvent pas se rendre au restaurant ni faire du shopping.»
Hier, en milieu d’après-midi, celle qui d’ordinaire s’active pour récolter quelques pièces de monnaie est assise avec une centaine d’autres sans-abri, chômeurs, ex-détenus, demandeurs d’asile ou personnes dépendantes de la drogue, dans l’un des restaurants de la Schueberfouer. Tous ont passé plus de deux heures au cœur de la plus grande foire de la Grande Région.
Quand il s’agit de décrire les moments vécus dans les allées de la Fouer, le ton de Charlène change et ses paroles s’enchaînent à la vitesse des wagons sur les rails d’un grand huit. Avec son père et des amis de celui-ci, ils ont profité de la vue offerte par la grande roue lorsque la nacelle atteint son zénith. «À un moment, tout s’est arrêté, on a cru être bloqués.» Dans son récit, elle n’oublie pas les haut-le-cœur ressentis dans les allers-retours du bateau pirate, l’odeur permanente de bonbons, les musiques qui éclatent depuis les manèges… «Je fais rarement ce genre de sortie. Ça m’a redonné la motivation de venir plus souvent à la Stëmm», souffle la jeune femme.
Comme une famille
Cette sortie exceptionnelle est organisée pour la septième fois par la Stëmm vun der Strooss. L’association conventionnée par le ministère de la Santé œuvre pour aider les personnes défavorisées avec pour objectif leur intégration sociale et professionnelle. Après deux ans de pause pour cause de pandémie, le retour de ce genre de sorties est vécu comme une énorme bouffée d’air par ceux qui ont recours à ses services.
«Ça permet de décompresser et ça change les idées. Avec ma femme, ça nous a permis de nous retrouver. Nous avons fait le bateau pirate, le train fantôme et d’autres manèges. C’était vraiment chouette», raconte Benoit. À 37 ans, cet homme connaît des longues périodes dans la rue depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, il dort dans un parking avec sa compagne, non loin de là où ils font la manche. Des restaurateurs les aident pour la nourriture. Ils se rendent très régulièrement à la Stëmm de Hollerich où ils peuvent «se laver et avoir des vêtements propres».
Autour des tables du restaurant «Kessel», les témoignages s’enchaînent, évoquant les galères de la vie, de la rue, du fait d’être pauvre dans un pays comme le Luxembourg. Le manque d’aide revient souvent dans les conversations. La solitude aussi. «La Stëmm, c’est ma famille», lance Viviane, 49 ans, sans papiers et vivant dans les bois. «Ça fait du bien d’être ici, d’accompagner et de revoir les gens. Je passe un bon moment avec mes potes», conclut-elle.
Un moment exceptionnel
Alexandra Oxacelay est celle qui connaît presque tous les visages, les prénoms et surtout les histoires de celles et ceux présents hier. La directrice de la Stëmm vun der Strooss est heureuse de «sortir les gens de leur quotidien et de leur donner ce qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir», surtout après deux ans de covid.
«Pour certaines personnes, aller à la Schueberfouer, c’est normal, c’est comme aller au supermarché. Pour d’autres, c’est exceptionnel de faire profiter leurs enfants de ce genre d’activité», précise Alexandra Oxacelay. «C’est important qu’on le fasse. Ces gens font partie de notre société.»
Des personnes des centres d’Esch-sur-Alzette, d’Ettelbruck et de Hollerich sont présentes dans les allées de la foire. Toutes se sont inscrites, aucune sélection n’a été faite par l’association. Sur place, elles n’ont rien à payer, la Stëmm s’est chargée de tout.
Année après année, Alexandra Oxacelay voit le nombre et surtout les profils de ceux qui vivent en dehors du système évoluer. «Aujourd’hui, nous n’arrivons plus à les identifier comme autrefois. C’est de plus en plus flou. Nous observons l’arrivée de nouveaux pauvres. Il n’y a plus de règles.»
Un restaurateur solidaire
Jérôme Bigard, le propriétaire du restaurant «Kessel», offre depuis sept ans un repas aux usagers de la Stëmm lors de leur visite à la Schueberfouer. Alors que tous sont attablés dans une ambiance chaleureuse, il prend le temps de nous expliquer l’histoire et l’évolution de ce partenariat.
Pouvez-vous nous raconter votre histoire avec la Stëmm?
Jérôme Bigard : Ma mère y a été bénévole et a dû arrêter en raison de soucis de santé. Naturellement, j’ai pris le relais pour accueillir ces gens au restaurant et leur offrir un repas gratuit. Cela fait maintenant sept ans que nous faisons cela. Aujourd’hui, nous avons une centaine de couverts et nous leur avons préparé des saucisses au vin blanc.
Pourquoi est-ce important pour vous d’accueillir ces personnes?
Je trouve que c’est très important de rester solidaire avec ces gens qui n’ont pas une vie facile. Surtout, il ne faut pas oublier que cela peut arriver à n’importe qui de se retrouver du jour au lendemain à la rue sans argent. Tout peut arriver très vite et personne n’est à l’abri.
Au fil des années, voyez-vous une évolution du nombre de personnes?
J’observe qu’année après année, il y a de plus en plus de monde lors de ce rendez-vous. Aussi, même s’il y a de nouvelles têtes, je vois souvent les mêmes personnes revenir.