Elle ouvre, dès jeudi à Ettelbruck, le festival consacré à Franz Liszt, et vient juste de sortir un second livre. La pianiste française Claire-Marie Le Guay raconte l’importance de la transmission, qu’elle défend dans une pratique musicale multiple.
On retrouve sa longue chevelure blonde et son style élégant un peu partout : derrière un piano, bien sûr, et sur les scènes internationales qu’elle irradie de son jeu. En studio, où elle a enregistré une vingtaine d’albums depuis les années 1990.
En festival, en tant que directrice artistique (celui de Dinard). Et au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) à travers lequel, entre autres, elle œuvre pour le rayonnement de la musique à travers des projets réunissant culture et éducation.
Mieux, depuis 2018, elle est aussi auteure. Avec deux livres à son actif : La vie est plus belle en musique et C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière. Dans ce dernier, sorti fin 2022, qu’elle aborde comme un «concert écrit» à travers l’histoire de cinq compositeurs de légende (Mozart, Bach, Rachmaninov, Mahler et Liszt) et des codes QR malins, elle poursuit ce qu’elle fait depuis toujours : transmettre sa passion au plus grand nombre.
En somme, décloisonner, encore et encore, le classique. Avant son concert d’ouverture du festival de piano Liszt+, demain au CAPe, Claire-Marie Le Guay parle de public, d’écriture, de partage. Et d’émotions.
Comment êtes-vous venue à l’écriture?
Claire-Marie Le Guay : Le désir d’écriture a toujours été présent chez moi, de manière un peu secrète. Ça s’est matérialisé au grand jour avec la rencontre de Christophe Absi, éditeur chez Flammarion, un grand amateur de musique. Il est venu me trouver avec cette idée de donner des pistes de découvertes et de redécouvertes à travers la voix d’une musicienne.
Vous êtes pianiste, enseignante, directrice de festival… L’écriture, était-ce une spécialité qui manquait à votre palette?
C’est un point de convergence! L’écriture est une forme de transmission, comme l’enseignement. Construire un livre ressemble à la mise en place d’une programmation musicale. Préparer un concert, encore, c’est le destiner à un public, et c’est la démarche dans laquelle je suis quand j’écris. Tendre la main vers le royaume de la musique, c’est un moteur! Ce chemin que j’ai eu la chance de parcourir, cette vie que je mène, j’ai envie de la partager avec les lecteurs autant qu’avec les auditeurs.
Pourquoi cette notion de transmission est si présente, si puissante chez vous?
Peut-être pour faire rayonner cette musique extraordinaire, que j’aime passionnément, qui fait partie de moi. Nous, musiciens, on a un rôle à jouer : celui de faire découvrir cette richesse. Surtout qu’à travers mes diverses activités, j’arrive à toucher un public différent.
Parfois, des gens m’interpellent et me disent « mais c’est génial, la musique classique! ». On lui reconnaît toute une palette d’émotions, de styles, d’époques aussi. Elle peut être romantique, baroque, contemporaine… Les musiciens, comme les mélomanes, savent combien c’est précieux de la connaître. J’aimerais que d’autres personnes pensent la même chose.
Est-ce aussi pour cela que, dans votre dernier ouvrage, vous appuyez vos réflexions et impressions avec des liens d’écoute, disponibles par de simples codes QR?
Derrière les mots, l’objet principal reste la musique. La présence des codes QR permet d’écouter de quoi il s’agit. Si on est sur un passage biographique très important d’un compositeur, sur un tournant dans sa vie, on peut l’entendre tout de suite. Parler de la musique, c’est bien, mais l’écouter, c’est mieux! C’est elle qui est au centre de tout.
Cette notion de partage, est-elle plus sensible encore quand on joue du piano, l’instrument des solitaires?
Quand on choisit le piano, c’est vrai, c’est que l’on a en soi un caractère assez solitaire. Mais c’est surtout un instrument qui se suffit à lui-même! Il a tout : les basses, les aigus, on peut le jouer fort comme doucement… C’est comme un orchestre à lui tout seul. Il peut tout dire, tout raconter! C’est à travers ce potentiel qu’avec lui, le partage fait sens. Car, encore une fois, il est très important, essentiel même, de déclencher des étincelles musicales.
Si on coupe le lien avec le public, tout devient aride, sec. Il n’y a plus de vie
Est-ce que cette solitude, encore, lie la pratique de la musique et de l’écriture?
Pour écrire, jouer de la musique, travailler son instrument, en effet, il convient de s’extraire du monde. Il faut rentrer dans une bulle de concentration et d’exigence. Répéter encore et encore le même passage pour le rendre meilleur, affiner son geste, c’est un vrai travail sur soi.
En revanche, parallèlement, on est toujours dans la préparation de la rencontre avec l’autre, le public. C’est pour ça que la période du covid a été douloureuse : si on coupe ce lien, cette relation, tout devient aride, sec. Il n’y a plus de vie. On ne fait jamais de la musique que pour soi.
Aimeriez-vous être autant à l’aise avec un stylo en main que derrière un piano?
(Elle réfléchit) C’est tellement différent, et ce, pour une raison très précise : la relation au temps. Quand vous donnez un concert, que vous jouez, c’est l’instant même qui compte, dans ce sens où vous ne pouvez pas revenir en arrière. Quand vous écrivez un livre, les phrases s’enchaînent, se transforment, disparaissent, reviennent…
Après, il ne faut pas oublier que je suis d’abord pianiste! D’ailleurs, j’écris un peu comme une interprète : mon écriture est ainsi colorée par une forme d’interprétation, qui s’observe dans le choix et l’éclairage que je fais sur tel ou tel compositeur.
J’aime me glisser dans l’empreinte de la main de Liszt. Je m’y sens à l’aise…
Dans vos deux livres, vous parlez beaucoup d’émotions. Y en a-t-il une, justement, plus forte que le « live »?
Le terme « live » est bien choisi : c’est ce côté vivant qui est si fort, si puissant, si intense.
Dans votre dernier ouvrage, cinq compositeurs « animent » le livre, mais il y en a un qui est un peu plus important que les autres : Franz Liszt. Vous lui avez déjà consacré quatre albums. En quoi est-il particulier pour vous?
C’est un personnage fascinant et un pianiste extraordinaire qui est arrivé à des moments clés de ma vie : mon premier enregistrement des Études d’exécution transcendante, qui m’a valu d’être connue; la rencontre fondamentale avec le chef d’orchestre Louis Langrée pour les deux concertos…
Sa musique est pleine de vie, d’amour, pour les femmes, pour Dieu. Il incarne quelque chose de très fort et d’inspirant. J’aime me glisser dans l’empreinte de sa main. Je m’y sens à l’aise…
En quoi sa musique vous correspondrait-elle?
C’est plutôt difficile à dire, mais je reste très attachée à certains éléments de sa musique : la générosité, la passion, l’énergie… Il y a également, chez lui, un côté à la fois charnel et spirituel. C’est cette richesse qui me plaît, et une source dans laquelle on peut tous puiser.
Rêvez-vous d’une vie aussi remplie que la sienne?
Clairement! Souvent, on dit que l’on ne peut pas tout avoir dans la vie, mais j’ai le sentiment que Liszt a tout eu. Il est la preuve que tout est possible, et que l’on peut aspirer à être à la fois religieux et incarné, star et anonyme… C’est un exemple pour moi! Dans ce sens, ouvrir un festival qui lui est consacré est émouvant. Un honneur même.
Jeudi à 20 h.
CAPe – Ettelbruck.
Dans le cadre du festival de piano Liszt+.
La vie est plus belle en musique (2018)
et C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière (2022),
de Claire-Marie Le Guay. Flammarion.