Steve Duarte n’a plus donné signe de vie depuis 2020. Il encourt cependant la réclusion à perpétuité pour avoir été un rouage semble-t-il important de l’État islamique en Syrie.
Un homme masqué et vêtu d’un treillis militaire sable clame sa vérité au milieu des décombres d’un immeuble de Mossoul, ponctuant chaque mot de ce long discours belliqueux envers «les mécréants» d’un mouvement de sa main droite brandissant un pistolet. Devant lui, un prisonnier kurde irakien en combinaison orange est agenouillé, le regard barré d’un foulard noir et les bras attachés dans le dos. Son discours terminé, l’homme, qui s’exprime en français, abat le prisonnier d’un balle dans la tête. À ses côtés, quatre autres combattants l’imitent. Les prisonniers s’effondrent au sol au même moment, concluant une danse macabre parfaitement chorégraphiée.
Sur un ton martial et confiant, il assure que l’EI veut rétablir Al-Andalus, nom des territoires de la péninsule ibérique sous domination musulmane entre le VIIIe et le XVe siècle. Il évoque également des ennemis de l’EI en pleine débâcle et les prévient qu’ils doivent s’attendre à quelque chose qui leur fera oublier le 11-Septembre et les attentats de Paris. Des menaces claires aux «chiens de mécréants» qui ne méritent que la mort.
L’homme masqué, cela ne fait plus aucun doute aujourd’hui, est Steve Duarte, un foreign terrorist fighter (combattants terroristes à l’étranger) de l’État islamique parti de Meispelt en août 2014 pour combattre en Syrie. Sa maman l’a immédiatement reconnu ainsi qu’un jeune Luxembourgeois entre-temps condamné pour propagande de terrorisme. Steve Duarte lui-même avoue à sa mère être ce bourreau à la solde de Daech. La vidéo de propagande de 7 minutes et 33 secondes remonte à janvier 2016. Le jeune homme radicalisé a quitté l’Europe depuis un an et demi. Il a rapidement gravi les échelons de l’organisation.
Selon les informations obtenues par sa mère lors de rares contacts et par son épouse revenue en Europe en juillet 2022 avec leurs deux enfants, Steve Duarte aurait travaillé au service de propagande du groupe rebelle Alwiya al-Furqan et dirigé son propre commando d’exécution et deux troupes de combattants. Il reconnaît ne pas aimer le combat. En 2017, à la naissance de son deuxième enfant, le doute s’installe dans son esprit : les conditions de vie au sein du califat ne correspondent plus à ses aspirations.
L’EI perd du terrain. Steve émet le souhait de revenir au Luxembourg pour protéger sa famille et cherche à obtenir de l’argent de sa mère pour financer son retour au pays. En 2019, il se rend à l’armée kurde. Il est incarcéré. Son épouse et les autorités perdent sa trace en 2020.
Disparu, mais peut-être pas mort
Où se trouve-t-il actuellement? Est-il encore vivant? Personne ne semble le savoir. Sans indices formels de sa mort, le parquet part du principe qu’il peut être jugé. C’est le cas depuis jeudi matin face à la 12e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour terrorisme, acte de provocation, acte de recrutement, commission d’un acte terroriste, participation active à un groupe terroriste ou à son activité licite, meurtre, assassinat, incitation à la haine ou à la violence ainsi que diverses suspicions d’être membre d’un parti radical islamiste.
La parquetière a demandé aux juges de retenir toutes ces préventions à son encontre et de le condamner par défaut à la réclusion à perpétuité. Selon elle, il aurait commencé par prendre son entourage en otage pour lui imposer sa vision de l’islam en se montrant inflexible. Confronté à leur résistance, il aurait choisi de rejoindre ses semblables dans un lieu qui correspondait à ses attentes, avant de déchanter.
Petit à petit, en fréquentant la mosquée Tawhid à Esch-sur-Alzette, il se radicalise et rejette de plus en plus l’Occident, ses propos se durcissent contre ceux qu’il qualifie de mécréants, ses contacts font partie de cellules terroristes. La police et sa maman le surveillent, mais à l’époque, la loi n’a pas encore été adaptée. «Le départ sur zone n’était pas encore puni», note la représentante du ministère public.
Peu friand de combat, il n’a pas hésité à abattre froidement un prisonnier et ordonner la mort de quatre autres sans aucune forme de justice. Dans leur enquête, les policiers sont parvenus à démontrer que Steve Duarte était plus qu’un simple combattant de Daech. Il n’est pas impossible qu’il ait été le chef militaire, l’émir, d’Abou Hamza al-Belgiki – un proche d’Abdelhamid Abaaoud, l’un des organisateurs présumés des attentats du 13 novembre 2015 en France –, condamné à mort par pendaison en 2018 en Irak, où il était considéré comme l’un des terroristes étrangers les plus importants.
Pour rappel, l’État islamique est une organisation terroriste politico-militaire, d’idéologie salafiste djihadiste ayant proclamé le 29 juin 2014 l’instauration d’un califat sur les territoires sous son contrôle. De l’été 2014 au printemps 2019, il forme un proto-État en Irak et en Syrie, où il met en place un système totalitaire.