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[Musique] La métamorphose de C’est Karma


«J’aime à dire que je fais de la pop avec une attitude punk!» (Photo : shade cumini)

Avec son troisième EP sorti en mai, C’est Karma s’approche encore un peu plus de ses modèles que sont Björk, Arca ou Sophie. Sa pop, comme elle, a grandi, et lâche la guitare pour l’électronique. Confidences avant un retour sur scène au Luxembourg.

Avec elle, on a l’habitude que les chose s’enchaînent sans trop avoir le temps de souffler. Dès 2018, C’est Karma, «espoir féminin» des premiers Luxembourg Music Awards, truste la scène et plaît avec sa folk faussement naïve. Mais tout aussi rapidement, on sait qu’elle ne va pas s’arrêter là. Une première preuve arrive fin 2020 avec Farbfilm, second EP (après Yellow, 2019) qui porte en lui les germes d’une métamorphose à venir, confirmée depuis mai dernier avec Amuse-Bouche.

Six chansons aux titres appétissants qui se consomment comme un «menu sonore», selon elle, et sur lesquelles on retrouve son appétit pour la pop expérimentale (qu’elle soit «glitch» ou branchée IDM et «indus»), celle des Björk, Arca, Sophie, Charlie XCX ou encore A. G Cook, ses principales influences aujourd’hui. «J’aime à dire que je fais de la pop avec une attitude punk!», dit-elle, peut-être à l’adresse du public qui la redécouvrira demain aux Rotondes, à l’occasion du festival Congés annulés. D’ici là, elle lâche encore quelques informations, histoire de rassurer tout le monde. Entretien.

En janvier, sur le site du festival Eurosonic, vous vous affichiez en photo avec dreadlocks, œil en verre et côté mutant à la Arca. Comment expliquez-vous cette évolution esthétique?

C’est Karma : C’est une question de goût personnel, qui s’affirme avec le temps. J’ai commencé la musique jeune, mais depuis, j’évolue. Mon identité, mon art… Tout cela n’est pas figé!

Vous avez toujours défendu un amour pour Björk. Ça se confirme là, non? 

Tout à fait. Elle n’est jamais bien loin! C’est une influence majeure dans tout ce que j’entreprends. Ce qui me plaît chez elle, c’est son approche expérimentale, sa manière d’aborder la musique comme personne d’autre.

D’autres photos, où l’on vous voit poser comme une femme fatale, confirme l’idée de cette métamorphose. Mais où est donc aujourd’hui la guitariste à lunettes qui fait du folk?

(Elle rit) Je crois qu’elle est un peu en retrait. C’est sûr, elle fait partie de ce que je suis, mais c’est une version, disons, plus jeune! Non, elle n’a pas disparu : elle est juste au fond de moi.

Je crois que quelques-uns de mes amis ont été effrayés…

Cette évolution est-elle venue naturellement?

Oui, plutôt. J’ai toujours été attirée par cet univers, cette musique, mais vu d’où je venais, avec ma guitare, mon approche plus folk, il fallait se donner du temps pour oser franchir le pas et expérimenter un peu plus. Au départ, ce n’était pas possible : il aurait fallu faire un sacré saut. C’était trop extrême!

Musicalement, cette transformation est aussi sensible. Déjà sur votre précédent EP, Farbfilm, la guitare était déjà en retrait. Là, elle a disparu. Pourquoi? 

Disons qu’elle s’est plutôt transformée. Je compose toujours à la guitare mais dès que la production s’enclenche, ça part dans d’autres directions, moins évidentes. Disons qu’elle m’accompagne toujours, mais elle est plus difficile à trouver!

Votre musique est passée dans une autre dimension. Elle est devenue moins facile, plus sophistiquée. Votre travail de composition est-il alors moins spontané?

Créer un morceau, aujourd’hui, ça prend plus de temps. C’est devenu un processus plus complexe, plus laborieux. Avant, je prenais la guitare et je me lançais. Là, il faut voir large, et investir pas mal de travail dedans. Après, faire de la musique, ça reste quand même quelque chose d’intuitif. Ça, ça n’a pas changé! Je passe seulement plus de temps devant mon ordinateur ou en compagnie de producteurs et productrices pour peaufiner le tout.

Amuse-Bouche est un EP assez sombre, sur lequel votre voix, modulable à souhait, prend des teintes froides. Est-ce la déprime qui guette?

(Elle rit) C’est tout à fait ça! Devenir adulte, ça n’a rien de facile. En grandissant, on est confronté à plein de choses qui ne sont pas tenables, qui inquiètent, qui mobilisent… D’une certaine manière, oui, j’ai laissé mon innocence derrière moi.

Cette pop électronique et expérimentale, c’est votre nouveau moyen d’expression, donc?

Pour l’instant oui, même si je ne m’interdis rien. Aujourd’hui, c’est en tout cas un univers sonore dans lequel je m’épanouis, où je me sens très à l’aise.

Comment le définiriez-vous?

J’aime à dire que ce que je fais, c’est de la pop avec une attitude punk! J’aime faire du bruit, tout en essayant de le contenir. Il y a une tension qui gronde derrière tout ça, une angoisse qui monte, quelque chose de brut!

Toujours au rayon nouveauté, vous chantez pour la première fois en français sur la chanson Gâteau. Pourquoi ce besoin? 

Cela s’est imposé sans que je force quoi que ce soit. Je voulais faire un morceau sur le changement climatique, et le français est venu spontanément. C’est une langue idéale pour exprimer une colère, une rage. C’est exutoire!

Justement, cette pop hybride, en comparaison au folk de vos débuts, est-elle taillée pour accueillir des textes engagés, vous qui vous définissez comme militante?

Dans cette pop, on trouve tout et son contraire. Il y a des paroles chargées, engagées, et d’autres totalement vides de sens, assez obscures, perchées… J’apprécie ce contraste et le fait d’être dans un entre-deux. Alors oui, il y a moyen que mes textes se fassent une place dans cette atmosphère, et s’affirment. Car je pense que le son souligne le contenu et le soutient, plus que l’étouffer.

Il n’y a finalement qu’une seule chose qui ne change pas : votre rapport à la nourriture. Les titres des chansons (Bread, Popcorn, Gâteau, Spaghetti on Repeat) en témoignent…

Avant de me lancer sur cet EP, j’avais déjà cette idée en tête, bien avant la musique : créer un menu sonore! J’avais mes ingrédients que je voulais « cuisiner » en chanson, et des sujets qui allaient s’incorporer au plat, sous la forme de métaphores.

Comment votre entourage, amical comme professionnel, a reçu ces nombreux changements?

Je crois que quelques-uns de mes amis ont été effrayés (elle rit). Je suis consciente que ma musique est devenue moins facile d’accès. Certains, aujourd’hui, ne la comprennent plus, ou connaissent des difficultés pour la saisir. C’est comme ça… Parallèlement, d’autres apprécient vraiment cette évolution. Des guitaristes qui chantent, il y en a quand même beaucoup!

Et sur scène, devant un public qui vous découvrait, comment votre style a-t-il été reçu? 

J’ai en tête un concert au Great Escape, le festival de Brighton (Angleterre). J’y étais en mai, sur la scène d’un pub, à l’heure de midi. Malgré l’horaire et le lieu, j’en garde un excellent souvenir. La salle était quasi pleine, et auprès des spectateurs, j’ai eu beaucoup de retours positifs. Ça m’a conforté dans ma métamorphose.

Cela fait longtemps que vous n’avez pas joué au Luxembourg. Ça vous fait quoi alors d’y remonter sur scène demain? 

Je suis enthousiaste et surtout curieuse de ce qui va se passer. Le dernier grand concert que j’ai donné ici – en dehors de premières parties et des festivals – était avant la pandémie, fin 2019, avec ma petite guitare. Depuis, le monde a changé, et moi aussi! J’ai envie de savoir ce que le Luxembourg en pense!

Qu’avez-vous envie de faire passer comme message au public, histoire peut-être de le rassurer?

(Elle rit) Qu’il essaye au moins de comprendre les intentions derrière ce que je fais. Et qu’il prenne du plaisir! C’est ça le plus important.

La guitare m’accompagne toujours, mais elle est plus difficile à trouver!

Le fait de reprendre sur la scène des Rotondes, aux Congés annulés, doit tout de même vous soulager. C’est un festival de connaisseurs que vous connaissez bien, non? 

Oui, j’y suis tous les étés depuis des années. On me trouve presque à chaque soirée. C’est un excellent festival alors oui, j’ai hâte d’y être!

Pour finir, vous avez déjà trois EP à votre actif. À quand le grand saut vers l’album? 

Je suis déjà en train de travailler dessus. Je suis revenue au Luxembourg cet été justement pour l’écrire. Bon, c’est encore que le début, mais il aura sûrement la même teinte que ce dernier EP.

C’est Karma est en concert samedi 30 juillet à 20 h au festival Congés annulés du côté des Rotondes (Luxembourg).

«Opening Night» vendredi 29 juillet à partir de 20 h avec King Khan & The Shrines, Sparkling et Napoleon Gold.