Christophe Klein, ancien gardien de but du Fola, habite depuis 40 ans au 36 de la rue Renaudin, à Esch, dans une maison littéralement collée à la Frontière. Il n’en bougerait pourtant pour rien au monde.
Dimanche, il enfilera sa veste un petit quart d’heure avant le coup d’envoi du derby eschois (Jeunesse-Fola à 16h), franchira les dix mètres qui séparent sa porte d’entrée de celle du stade de la Grenz, et priera pour que les attaquants de standing que sont Samir Hadji, Emmanuel Françoise ou Patrick Stumpf cadrent un maximum de frappes. Histoire de ne pas avoir de mauvaise surprise quand il rentrera à la maison.
C’est une maison orange-saumon et si l’on n’y prend pas garde, on dirait bien que sa jolie boîte aux lettres noire est celle… de la Jeunesse Esch. Il faut dire qu’elle est géographiquement plus proche du portail de la Grenz que de la porte d’entrée en métal et verre du 36 de la rue Renaudin.
C’est là que vit Christophe Klein depuis 61 ans, quand ses parents ont racheté la maison des grands-parents. Lui-même en est devenu propriétaire il y a 41 ans en la rachetant à l’ARBED pour 500 000 francs luxembourgeois, soit moins de 15 000 euros. «Aujourd’hui, elle doit en valoir 300 000, estime le propriétaire. Il y en a une qui s’est vendue 400 000 euros dans la rue la semaine passée.»
Petite histoire de la maison la plus proche du terrain le plus célèbre du pays, tenue par un Folaman de longue date, même s’il a tout de même joué une décennie pour la Vieille Dame avant de se rendre compte qu’il resterait toujours barré par René Hoffmann…
Le Quotidien : Vous nous décrivez votre maison?
Christophe Klein : Elle est dans une rue bien tranquille. Il y a peu de trafic et c’est une maison bien construite. Ce n’est pas de la camelote. Les murs font bien 75 centimètres d’épaisseur par endroits. Et elle est juste à la droite de la billetterie de la Jeunesse, collée au mur de la Frontière…
Depuis quand y vivez-vous?
À ma naissance, mes parents se sont installés dans la rue parallèle, à côté d’un café. Quand j’ai eu sept ans, mes parents ont racheté cette maison, qui appartenait à mes grands-parents. Et moi, je l’ai rachetée il y a 40 ans. À l’époque, le jardin était beaucoup plus grand. Il allait jusqu’à la surface de réparation de Marc Oberweis. On y avait un pommier, un prunier, un cerisier… Il y avait aussi des quetsches. On avait douze arbres fruitiers, mais l’ARBED a concédé du terrain à la Jeunesse au moment de la rénovation de la Grenz, au début des années 70. Ça a beaucoup rapproché le terrain de la maison. D’au moins vingt mètres. Avant ça, il n’y avait pas tant de ballons qui tombaient dans mon jardin…
Combien par saison?
Je ne compte pas, mais en moyenne, la Jeunesse me casse une chose dans ma maison chaque saison. Les ballons, je les rends, je ne suis pas un méchant, surtout que ce sont souvent des gosses qui viennent les réclamer. Et si personne ne vient, je les garde pour les rendre à l’occasion. Mais par exemple, en août, j’ai encore 18 ardoises de la toiture qui ont volé.
Bref, vous êtes toujours en affaire avec la Jeunesse.
Oh, mais ce n’est pas emmerdant. Ils ont des assurances et ça se passe bien. Je vais les voir, je leur explique. Mais bon, vous savez comment sont les assurances, tout va bien tant qu’il ne faut pas payer. En août, ils ne voulaient pas que je me contente d’un seul devis, effectué par mon couvreur traditionnel. J’ai dû menacer d’aller au tribunal.
Donc, il y a souvent de la casse?
Un jour, en prenant mon vélo pour aller au travail, j’ai découvert un ballon sous mon abri. Il avait explosé le toit qui était en plastique transparent. C’était trop fragile. J’ai dû en poser un nouveau, plus solide mais opaque. Comme il est juste au-dessus de la fenêtre de ma salle de bain, on n’y voit plus rien quand on prend sa douche.
Et vous dites que ça arrive en moyenne une fois par an?
Heureusement, ce sont souvent des pots de fleurs cassés. Mais si personne ne vient réclamer le ballon, ma femme et moi, quand on rentre de promenade, on ne peut pas savoir qu’il y a eu du dégât. On découvre ça plus tard… Un ballon dans le jardin, ça arrive presque à chaque match, de la casse, heureusement, c’est plus rare.
Le pire, ça a été un jour, il y a longtemps : ils m’ont cassé la vitre du salon et juste en dessous, il y avait un meuble tout neuf. Tout était foutu. L’assurance a payé pour du double vitrage et moi j’ai mis le reste de ma poche pour changer les quatre autres fenêtres.
C’est invendable une maison comme ça!
Mais je ne veux pas la vendre! Je suis bien ici.
Il en dit quoi, votre voisin d’en face, celui à la maison bleue?
Christophe? Oui, il s’appelle aussi Christophe. Rien, il ne s’intéresse pas au foot et lui, il a beaucoup moins de ballons qui tombent sur sa maison parce qu’il est nettement moins dans l’axe du but.
Vous n’êtes pas plus tranquille depuis que le club a installé des panneaux publicitaires qui font barrage aux tirs des attaquants les moins adroits?
Si, effectivement. Mais bon, maintenant, c’est devenu beaucoup plus sombre chez moi. À cause de la Jeunesse, maintenant, je suis tout le temps obligé d’allumer la lumière dans mon salon! D’ailleurs, ils ne m’ont jamais demandé, les dirigeants de la Jeunesse, s’ils avaient le droit. Est-ce qu’ils l’ont? Je suis allé à la commune pour demander. On m’a dit que le club en est locataire et qu’il y fait ce qu’il veut. Et quand je vais voir la Jeunesse, on me dirige vers le propriétaire, qui est la commune.
Régulièrement réapparaît le serpent de mer d’un déménagement pour un nouveau stade plus moderne. Ça vous ferait quoi de voir la Frontière disparaître?
Bah… ils ne vont jamais le faire. Ce stade sur les Lentilles, on en parle souvent, mais croyez-moi, ça va durer encore un bout de temps. De toute façon, j’espère qu’on va encore jouer longtemps ici!
Ce n’est pas trop bruyant les week-ends?
C’était plus bruyant quand il y avait 3 000 à 4 000 spectateurs.
Vous serez au match dimanche ?
Avant l’installation des panneaux, j’arrivais à suivre les matches depuis là-haut (NDLR : il montre une petite lucarne au deuxième étage), mais maintenant… Je vais arriver quinze minutes avant le coup d’envoi et s’il fait trop froid, moi, à la pause, je pourrai venir me réchauffer à la maison!
Ça n’a jamais été curieux d’être étiqueté Fola et de vivre collé à la Frontière?
J’ai joué à la Jeunesse de 10 à 20 ans. Je suis parti au Fola parce qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul gardien de but et qu’à la Jeunesse, la place était prise par René Hoffmann. Vous savez, j’ai encore plein de copains à la Jeunesse et on se salue! Et puis surtout, dites-vous que j’ai de bonnes relations avec les gens du comité de la Jeunesse. Ils sont très bien.
Julien Mollereau