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La France rend hommage à Michel Rocard le « visionnaire »


Michel Rocard en 2010. (photo AFP)

Une pluie de louanges pour « l’homme d’Etat », voire le « visionnaire », Michel Rocard continuait dimanche en France, de la métropole à la Nouvelle-Calédonie, traversant la classe politique et ramenant une apparence de concorde à gauche, avant un hommage national.

Cérémonie au temple protestant, hommage national aux Invalides et hommage au siège du Parti socialiste, l’ex-Premier ministre décédé samedi à 85 ans à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière avait laissé un testament « très précis » sur le triple hommage qu’il souhaitait à sa mort, a déclaré le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis.

Si la date de l’hommage national, qui sera présidé par François Hollande et où l’ancien secrétaire général de la CFDT Edmond Maire devrait aussi parler, n’était pas encore connue, l’hommage rue de Solférino aura lieu vers 11 juillet. Et une minute de silence est prévue lundi soir à la mairie de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), dont Michel Rocard fut longtemps maire.

Dimanche matin, François Hollande s’est rendu à la Pitié-Salpêtrière pour rendre un hommage personnel à Michel Rocard et saluer sa famille, a indiqué à l’AFP l’entourage du chef de l’Etat. Le Premier ministre Manuel Valls devait faire de même à la mi-journée pour saluer celui qu’il considère comme son « père en politique », auprès duquel il travailla à Matignon.

Atteint d’un cancer, Michel Rocard « subissait des traitements lourds, il préparait avec beaucoup de lucidité, de courage et sérénité ses derniers mois », a raconté François Hollande au JDD. Le président de la République a dit l’avoir vu il y a un mois pour la dernière fois, « fatigué mais parfaitement conscient », à la remise de la Légion d’honneur au peintre Pierre Soulages, « son ami ».

En septembre 2015.

En septembre 2015. Michel Rocard était atteint d’un cancer. (photo AFP)

« Je l’avais vu il y a quelques jours et il pensait tenir sa réunion sur les pôles, dans quelques jours au quai d’Orsay », a affirmé le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron sur Europe 1/Le Monde/iTélé. Toujours « en mouvement, en perpétuelle réflexion », comme sur la lutte contre le réchauffement climatique, « son horizon, c’était la planète », a souligné François Hollande.

L’artisan du RMI et de la CSG a marqué l’Histoire en jouant un rôle clef dans les accords de Matignon – un des plus beaux souvenirs de sa vie politique. « La Nouvelle-Calédonie pleure celui par qui elle a pu renaître, en 1988, avec Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, après une décennie de guerre civile », a souligné le centriste Philippe Gomes, à l’unisson des hommages sur le « Caillou ».

Depuis son décès, le théoricien de la « deuxième gauche », ex-Premier ministre socialiste à l’ambition présidentielle toujours contrariée et homme d' »utopies concrètes », suscite un élan convergeant dans un pays qui reste en pré-campagne présidentielle.

« La vérité française, c’est que l’on ne sait plus ce qu’est la droite et la gauche », jugeait Michel Rocard en juin.

Valls et Macron revendiquent l’héritage

A droite, l’ancien président Jacques Chirac a rendu hommage à son « ami de jeunesse », qu’il connaissait depuis le début des années 1950, et à « un homme d’Etat » mêlant, « de manière rare, le goût des concepts et la capacité d’action ». A gauche, un Jacques Delors ou un Lionel Jospin ont insisté à leur tour dimanche sur l’apport de Michel Rocard.

Un « rôle essentiel » pour renouveler son camp, a retenu l’ancien président de la Commission européenne, regrettant qu’il n’ait pas été président de la République. Il y avait « des divergences très nettes entre François Mitterrand et Michel Rocard », mais il fallait « concilier les deux pour permettre au PS de revenir au pouvoir », a glissé le père de Martine Aubry.

Michel Rocard et François Mitterrand en mai 1990. (photo AFP)

Michel Rocard et François Mitterrand en mai 1990. (photo AFP)

L’ancien Premier ministre et ancien numéro un du PS a, lui, évoqué « un social démocrate épris de dialogue social », un « réaliste, mais pas un cynique, un modernisateur en économie (…) pas un néo-libéral ». Dans la jeune génération, tant Manuel Valls qu’Emmanuel Macron, pourtant en désaccords réguliers, ont fait passer des messages codés sur l’héritage.

« Si Michel Rocard à un moment – mais on ne refait pas l’histoire avec des si – avait été président de la République, peut-être une grande partie des débats qui secouent la gauche seraient derrière nous », a lâché dimanche l’actuel locataire de Matignon.

Quant au fondateur du mouvement « En marche », il a considéré que « bien souvent la France a été injuste avec lui, elle a été injuste parce qu’elle n’a pas reconnu ses idées, l’originalité de celles-ci, elle a parfois été injuste au sein même de sa propre famille ».

Adepte du « parler vrai », Michel Rocard avait regretté dans sa dernière interview qu’Emmanuel Macron et Manuel Valls n’aient « pas eu la chance de connaître le socialisme des origines » et soient « loin de l’Histoire ».

Michel Rocard et Nelson Mandela en juin 1990. (photo AFP)

Michel Rocard et Nelson Mandela en juin 1990. (photo AFP)

Le Quotidien / AFP

« Archaïsme », « misère du monde », Brexit : les citations de Michel Rocard

De « l’archaïsme » en politique au soutien au Brexit, en passant par « toute la misère du monde » que la France ne peut accueillir, florilège des déclarations marquantes de Michel Rocard, décédé samedi à 85 ans.

« Archaïsme »

Au soir de la défaite de la gauche aux élections législatives de mars 1978, Michel Rocard lance : « un certain style de politique, un certain archaïsme sont condamnés ». Cette phrase résonne comme un désaveu de François Mitterrand, alors premier secrétaire du Parti socialiste. La guerre commence entre les deux hommes.

« Incompétence »

Pour tenter d’apaiser leurs relations, François Mitterrand et Michel Rocard déjeunent ensemble, en juin 1978, dans le fief de ce dernier, à Conflans-Sainte-Honorine. « Quelle incompétence ! », dira après la rencontre Rocard de Mitterrand. « Quelle inculture ! », rétorquera ce dernier au sujet de son rival.

« Pas un tueur »

Filmé en 1985 dans son appartement du boulevard Raspail à Paris pour l’émission « Questions à domicile » sur TF1, Rocard résume ainsi son personnage dans un monde politique « de jungle » : « Je m’honore de n’être pas un tueur. Mais je sais qu’il faut vaincre. On me l’a appris durement ».

« Cages d’escalier »

Le 29 juin 1988, nommé Premier ministre, il explique, dans son discours de politique générale, qu’en accordant « plus d’un milliard de francs à des travaux d’urgence dans les quartiers dégradés », il veut « permettre d’agir directement sur l’entretien des logements, sur les réparations des cages d’escalier, des ascenseurs, des halls d’entrées ». Ce pragmatisme suscite les rires des députés de droite.

« Misère du monde »

« Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde, la France doit rester ce qu’elle est : une terre d’asile politique (…) mais pas plus », déclare le 3 décembre 1989 Michel Rocard, chef du gouvernement, à l’émission 7 sur 7 sur TF1. Vivement critiqué à gauche pour ce propos, il complètera sa pensée en 1996, alors qu’il est dans l’opposition : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ».

« Big bang »

Le 17 février 1993, lors d’un meeting à Montlouis-sur-Loire, Michel Rocard, qui n’est plus à Matignon, souhaite un « big bang » politique, une recomposition permettant la constitution d’une alliance regroupant des centristes, les socialistes, des écologistes et certains communistes.

« Pas un honnête homme »

« Mon vrai problème, c’était que Mitterrand n’était pas un honnête homme. Il fallait défendre la France contre beaucoup de choses », confie Michel Rocard, au sujet de ses années à Matignon, à la Revue de droit public en décembre 1998. Ces propos déchaînent un concert de protestation chez les mitterrandiens. Le 4 juin 2000, sur France 2, il précisera qu’il s’agissait de la « reprise d’un mot du XVIIIème: c’est une référence un peu voltairienne à une façon de vivre et de penser, cela n’a pas grand chose à voir avec l’appréciation juridique de l’honnêteté financière ». « M. Mitterrand, je l’ai dit peut-être avec un peu de partialité, ne répondait pas à cette définition », ajoutera-t-il.

« Brexit »

« La présence de la Grande-Bretagne depuis 1972 dans l’Union européenne nous interdit d’avancer. Donc, je souhaite le Brexit. Mais il n’est pas sûr que nous sachions en profiter », déclare Michel Rocard dans une interview au Point publiée le 23 juin, au moment où les Britanniques votent et dix jours avant sa mort.