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La franc-maçonnerie au Luxembourg : aussi anachronique qu’engagée


Le temple du Grand Orient de Luxembourg, basé dans la capitale, regroupe 200 membres au Grand-Duché et 200 autres répartis entre la Belgique, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. (photo M. K.)

Composée de 400 membres, l’obédience franc-maçonnique du Grand Orient de Luxembourg promeut un engagement sociétal, sans oublier des rites et une histoire de plus de trois siècles.

L’initiative est assez rare pour être soulignée. Le 22 avril dernier, à Strasbourg, l’obédience franc-maçonnique du Grand Orient de Luxembourg a signé une déclaration conjointe avec vingt autres obédiences en Europe intitulée «Agir pour l’Europe des Libertés».

Avec ce texte, les maçons souhaitent alerter «sur les menaces et les dangers qui pèsent sur une Europe démocratique, progressiste et sociale». Une menace que les signataires nomment explicitement : «la montée des partis populistes et extrémistes, et notamment de l’extrême droite, et de leurs projets illibéraux».

Discrète par nature, la franc-maçonnerie n’a pas l’habitude de s’exprimer publiquement et encore moins de prendre position. «Un franc-maçon ne parle pas à la place d’un autre», résume une Grande Maître adjointe du Grand Orient. «Un parti politique donne un mandat à son exécutif pour prendre une position. Nous ne sommes pas comme cela, car chez nous, il y a des gens qui sont membres de partis politiques différents», ajoute Guido Vervaet, le Grand Maître.

Mais l’exception est parfois de mise face à des enjeux importants. «Nous avions aussi communiqué sur les réfugiés pour demander un traitement humain et social ou sur la crise d’habitation au Luxembourg.» Preuve en est que la franc-maçonnerie n’est pas coupée du monde ni des enjeux sociétaux. «On vit dans la société, on est influencé par elle.»

«Libre de choisir son propre chemin»

«Par définition, un franc-maçon est une personne engagée. C’est un synonyme», affirme la Grande Maître adjointe. Pour le Grand Orient de Luxembourg, l’objectif de la franc-maçonnerie est simple : «Tailler la pierre brute et construire le temple de l’humanité». Concrètement, chaque membre a l’obligation de s’améliorer, de rechercher la vérité, de pratiquer la philosophie et de vivre une vie éthique. Le tout afin d’œuvrer pour le progrès de l’humanité.

Cependant, «chaque maçon est libre de choisir son propre chemin, la maçonnerie ne va jamais imposer des recommandations pour voter pour tel ou tel parti». Libres de s’engager politiquement, les francs-maçons sont aussi encouragés à intégrer des associations, des collectifs ou encore des syndicats. Autant de moyens afin d’œuvrer «pour promouvoir un progrès pour l’être humain», en appliquant des principes vus et discutés lors des ateliers franc-maçonniques.

Ils consistent en des espaces de discussion organisés une à deux fois par mois par les dix loges qui composent le Grand Orient de Luxembourg. Ce dernier est composé d’une fédération de dix loges présentes au Grand-Duché, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en France et qui totalisent 400 membres, dont la moitié de Luxembourgeois, et 12 nationalités différentes.

Chaque loge fonctionne de façon plus au moins autonome afin de réunir ses membres lors de réunions, également appelées «tenues». «À chaque tenue, un frère ou une sœur présente un exposé sur l’éducation, l’intelligence artificielle ou l’immigration par exemple. Parfois, c’est flou et le thème, c’est juste « soigner » ou « vivre en beauté »», détaille le Grand Maître.

Sacralité de l’espace et de la parole

C’est dans ces ateliers que l’on retrouve la force de la franc-maçonnerie, selon ses membres. Grâce à des règles inchangées depuis la création de la première loge il y a plus de trois siècles en Angleterre, personne ne peut parler en même temps que quelqu’un d’autre. Dans le temple, deux surveillants donnent la parole au côté droit puis gauche de la salle afin que les membres puissent s’exprimer chacun à leur tour devant le Grand Maître.

«Le travail en loge, c’est apprendre à entendre et à écouter l’avis de quelqu’un sur un sujet, même si je ne partage pas son avis», fait savoir Guido Vervaet. Un principe qui remonte à l’essence même de la franc-maçonnerie. «L’Angleterre sortait de guerres civiles et l’idée d’avoir un lieu où des personnes de différentes opinions pouvaient se réunir et discuter sans être d’accord était à mon avis assez révolutionnaire.» Pour les francs-maçons, la polarisation actuelle des débats renforce l’intérêt d’intégrer une loge. «On se retire un peu de tout le chaos du monde profane», décrit la Grande Maître adjointe.

Bien que connectée à la réalité, la franc-maçonnerie est aussi une bulle pour ses membres grâce à un cadre «anachronique mais pas dépassé». Dans le temple du Grand Orient à Luxembourg, on retrouve le soleil, la lune, l’œil dans le triangle, les blocs de pierre, l’épée ou encore les trois marches qui mènent au siège du Grand Maître.

En tant qu’obédience adogmatique, le Grand Orient n’oblige pas ses membres à croire en une signification précise. Chacun fait son interprétation, hormis pour certains symboles comme la voûte étoilée peinte au plafond «car notre travail ne s’arrête jamais, donc le temple ne se ferme jamais». Ici, le rituel et les symboles sont des «outils pour créer l’espace sacral».

La discrétion traditionnelle participe également à cette sacralité du temple, un membre ne pouvant dévoiler l’identité d’un frère ou d’une sœur, ni raconter le contenu de son atelier à ses collègues de travail. «Le secret, c’est ce que l’on vit.» Pour Guido Vervaet, «la maçonnerie, c’est ce qui se passe dans le temple pendant les tenues et c’est une expérience de fraternité difficilement communicable».

Comment devenir franc-maçon ?

La particularité de la franc-maçonnerie est d’être une organisation à l’admission sélective. Au Grand Orient de Luxembourg, comme ailleurs, deux solutions existent afin de rejoindre l’une des dix loges de l’obédience. Dans la grande majorité des cas, «la personne est approchée par un frère ou une sœur qui pense qu’elle mérite d’être initiée dans notre obédience», raconte Guido Vervaet.

Un système de parrainage débute, à condition de connaître la personne intéressée «parce qu’il faut savoir si elle a les capacités intellectuelles et émotionnelles pour entrer et pour fonctionner dans cet environnement, ainsi que de la valeur morale».

Comme pour un travail ou presque, une série d’entretiens est ensuite réalisée pour en savoir plus sur son histoire, sa profession, la façon dont la personne se comporte dans la vie, ses opinions philosophiques et ses ambitions. Le procédé est le même dans le cas où la personne vient d’elle-même frapper à la porte du Grand Ordre.

«Peur d’un certain opportunisme»

Une fois la candidature acceptée, le nouveau membre possède le grade d’apprenti qui dure un an, avant de passer compagnon. Ce dernier peut ensuite devenir Grand Maître à condition d’avoir suffisamment de connaissances sur la franc-maçonnerie et que le conseil du Grand Ordre valide son admission. Ensuite, comme pour une association, le Grand Maître est élu afin de diriger la loge pendant un an, à raison de trois mandats maximum.

Bien que «la franc-maçonnerie se soit démocratisée, car dans le temps elle était constituée de nobles et du clergé», il faut tout de même un minimum de compétences intellectuelles ainsi que d’expérience de vie. En dessous de 30 ans, rares sont les admis. Il faut également avoir «une affinité avec le symbolisme et le rituel, car c’est un ordre initiatique», basé sur le langage des maçons constructeurs de cathédrales. Tous ces éléments permettent d’éviter au maximum les mauvaises recrues, car «on a toujours peur d’un certain opportunisme de la part de candidats qui espèrent qu’ils vont faire des affaires et connaître des gens».