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La chancelière allemande, de « Mama Merkel » au déclin


L'image de chancelière inoxydable s'est finalement écornée... (photo AFP)

L’ouverture des portes de l’Allemagne à un million de réfugiés restera la décision phare de la carrière politique d’Angela Merkel, mais aussi celle qui aura accéléré son départ du pouvoir en mécontentant une partie de l’opinion.

C’est « la décision de sa vie », juge l’hebdomadaire Die Zeit, alors que la chancelière Angela Merkel passera la main vendredi à la tête de son parti conservateur Union chrétienne-démocrate (CDU) lors d’un congrès qui s’ouvre jeudi après-midi. Elle est poussée vers la sortie après 18 ans de règne.

A la fin de l’été 2015 alors que des centaines de milliers de réfugiés tentent dans des conditions désespérées de rejoindre l’Europe, Angela Merkel décide d’accueillir tous ceux qui sont alors bloqués en Hongrie. Par autocars, trains, à pied, ils se précipitent à la frontière germano-autrichienne avant d’être escortés à leur arrivée par des Allemands venus avec des bouquets de fleurs et en applaudissant dans les gares du pays.

« Elle va entrer dans l’Histoire »

Pour les Syriens et Irakiens qui fuient les conflits du Moyen-Orient, la chancelière devient « Mama Merkel » : une icône compassionnelle qui leur offre à tous un toit, quitte à réquisitionner salles de sport et casernes.

Ce surnom, « c’est juste une blague et cela simplifie trop les choses », rigole aujourd’hui Rami Rihawi, un Syrien d’Alep de 22 ans, arrivé fin 2015 à Berlin. « Mais elle va entrer dans l’Histoire », pronostique le jeune homme qui a vécu les 7 premiers mois avec 300 personnes dans un gymnase. En 2017, il a rencontré et s’est entretenu avec Angela Merkel lorsqu’elle a visité un centre de formation pour jeunes informaticiens dans lequel il a effectué un stage, avant d’être embauché par une start-up en tant que développeur de logiciels.

Face à l’immense défi de l’intégration, la chancelière assure à cette époque : « Nous y arriverons ! ». Elle prendra plus tard ses distances avec cette formule, que lui renvoient à la figure aujourd’hui tous ses détracteurs. Car rapidement le vent tourne et l’enthousiasme initial laisse place aux doutes. La colère gagne tout particulièrement l’Est du pays défavorisé, où le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) engrange les succès électoraux. Dans ses déplacements, la chancelière essuie des concerts de sifflets et des vociférations. « Dégagez ! », scande la foule le jour de la fête nationale 2016 à Dresde.

Point de non retour

L’aile droite de sa famille conservatrice juge aussi qu’Angela Merkel a trop déplacé le mouvement vers la gauche. Particulièrement remuant, le parti allié bavarois CSU exige des quotas annuels de demandeurs d’asile. Merkel y oppose longtemps une fin de non recevoir avant de céder en grande partie. L’Allemagne adopte rapidement des lois sur l’asile plus restrictives qui contribuent à faire diminuer drastiquement le nombre de nouvelles demandes d’asile. Depuis début 2018, les autorités multiplient les charters d’Afghans expulsés vers Kaboul. Et de janvier à fin octobre 2018, l’Allemagne a enregistré 158 000 demandes d’asile, très loin du pic de 750 000 de 2016.

L’extrême droite, moribonde début 2015, s’est emparée des peurs de certains Allemands en jouant la carte anti-Merkel. En 2017, l’AfD entre en force au Bundestag avec 92 députés et jure de « faire la chasse » à la chancelière. Du jamais vu depuis 1945 dans un pays qui, en raison du fardeau nazi, a longtemps résisté aux sirènes de la xénophobie.

Et le quatrième gouvernement Merkel, formé dans la douleur en mars, n’a cessé d’être traversé de crises sur la question migratoire, alimenté par l’aile droite de sa propre famille politique. Le point de non retour sera finalement atteint en octobre. Une série de revers électoraux régionaux contraignent Angela Merkel à quitter la tête de son parti, prélude à sa retraite politique annoncée pour 2021.

« Son départ est peut-être une bonne chose pour qu’émerge une nouvelle génération », estime Rami Rihawi. De toute façon, assure-t-il, « ce n’est pas elle seule mais les Allemands qui nous ont ouvert leurs portes ».

LQ/AFP