On a beaucoup parlé de politique et du futur lors du 10e Lëtzebuerger Filmpräis, samedi. Mais le plus bel acte de résistance est le sacre du film d’horreur Kommunioun.
En fin de compte, ce sont les monstres qui gagnent : à l’issue de la 10e cérémonie du Lëtzebuerger Filmpräis, dans un double climax amorcé par le discours du Premier ministre et de la ministre de la Culture, la récompense ultime s’en est allée entre les griffes de Jacques Molitor et des Films Fauves pour le film d’horreur Kommunioun. À l’instar de la société de production derrière le film, dirigée par Gilles Chanial, le réalisateur de 43 ans garde à cœur d’instaurer une identité luxembourgeoise à travers un cinéma qui revendique tant sa différence que son niveau d’exigence artistique. Devant l’inertie d’un rendez-vous où l’on distribue, sous couvert de récompenses, des titres honorifiques qui passent et se ressemblent, la victoire de Kommunioun fait un bien fou. Elle aura amené, aussi, l’unique surprise de la soirée.
Xavier Bettel et Sam Tanson ont eu droit à une «standing ovation», juste avant de décerner le dernier Filmpräis. Le travail de la ministre de la Culture sortante en faveur des intermittents du spectacle, notamment en période de pandémie, avait été maintes fois salué par les acteurs du monde de la culture. Dans le cinéma comme dans les arts vivants, on espère que la politique de Sam Tanson fera des petits dans la tête de qui lui succédera au sein du nouveau gouvernement – Jo Kox, premier conseiller de la ministre, s’est montré sobre sur scène, un peu plus tôt, pour récompenser (lui aussi) Kommunioun et sa directrice de la photographie, Amandine Klee.
Briser le confort
Celle après qui, en revanche, «tout espoir était perdu» (tel que s’est écriée la présentatrice Magaly Teixeira, qui a maintenu la barque à flot aux côtés de Max Thommes), c’est Vicky Krieps, lauréate de la meilleure actrice pour son rôle dans Corsage. L’unique absente de la soirée a demandé à la remettante, Jeanne Werner, de donner son prix à la réalisatrice autrichienne du film, Marie Kreutzer. Une reconnaissance symbolique qui pointe du doigt le traitement injuste de Corsage, retiré des cinémas en Autriche après la découverte d’un scandale sexuel concernant un de ses acteurs. Mais l’absence physique de Vicky Krieps a manqué d’en faire un moment fort. Spécialement après que Céline Camara est apparue en «show-stealer», brisant le confort ambiant en assénant des vérités sur la représentation des femmes, celles issues de minorités en particulier, dans le cinéma luxembourgeois. (Marie Kreutzer, elle, est remontée sur scène plus tard, acceptant en son nom propre le prix de la meilleure coproduction.)
On a beaucoup parlé politique lors de cette cérémonie, surtout pour ne rien dire. Et l’on ne s’est pas assez réjoui de la victoire de Marc Limpach, impressionnant dans le thriller expressionniste Hinterland (Stefan Ruzowitzky, 2021), encore moins de celle de la meilleure œuvre XR, remise par un jury international. Le vainqueur, Missing Pictures (Wild Fangs Films), propose une expérience immersive et impressionnante dans les films jamais réalisés de cinéastes renommés (Tsai-Ming Liang, Naomi Kawase, Abel Ferrara…).
Alors que le sujet de l’intelligence artificielle a occupé une partie de la soirée (et traité à côté de la plaque), le Luxembourg peut s’enorgueillir d’être un acteur européen (et mondial) important des évolutions futures du cinéma, tout comme il l’est depuis un temps déjà dans le domaine de l’animation. À preuve, Where Is Anne Frankb?, d’Ari Folman, a été couronné parmi des prétendants de très haut niveau (Le Sommet des dieux, Le Petit Nicolas…). Le réalisateur israélien, qui a laissé un message vidéo depuis Tel-Aviv en guerre, a salué le rôle essentiel de la coproduction luxembourgeoise et du sacrifice financier fait par le producteur de Samsa Jani Thiltges. Un autre rare acte de résistance mis en avant au cours de la soirée. Le plus beau reste malgré tout la victoire enthousiasmante de Kommunioun; dommage que la cérémonie n’ait pas été à la hauteur de son mordant.