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Kirchberg : «En Afghanistan, je vais mourir»


Une des tentes de la Structure d'hébergement d'urgence au Kichberg (SHUK), où M. avait été assigné à résidence, avant d'être transféré vers la Suède jeudi. (Photo : archives editpess)

«Me renvoyer en Suède, c’est comme me renvoyer en Afghanistan, où je suis en danger de mort.» M.*, un Afghan de 20ans, nous faisait part la semaine dernière de sa «peur» d’être transféré par le Luxembourg vers la Suède. C’est chose faite depuis jeudi matin.

Il est 4 h, jeudi matin.

Une patrouille de la police arrive à la Structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (SHUK), située au hall 6 de Luxexpo et mise en place en avril 2017 afin d’accueillir les demandeurs de protection internationale en instance de transfert vers un autre État membre de l’Union européenne en application du règlement Dublin III. Les forces de l’ordre sont là pour chercher M.*

Arrivé au Luxembourg il y a deux mois, l’Afghan de 20 ans a d’emblée reçu de la part de la direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères et européennes, de l’Immigration et de l’Asile, une assignation à résidence à la SHUK et puis une notification de transfert vers la Suède, pays dans lequel il a passé trois ans avant d’arriver au Grand-Duché. Son transfert vers le pays scandinave a été exécuté jeudi alors que le tribunal d’administratif devait examiner au cours de la semaine prochaine son recours contre la décision de transfert prise par la direction de l’Immigration (NDLR : au Luxembourg, le recours ne suspend pas automatiquement le transfert).

Pourtant, des cas de jurisprudence existent en Europe : le 19 mai 2017 en France, le tribunal administratif de Lyon a annulé le transfert vers la Finlande d’un demandeur d’asile afghan; cette décision a été confirmée par la cour administrative d’appel de Lyon le 3 avril 2018.

«En Afghanistan, je vais mourir»

« En Suède, j’ai appris la langue. Je pensais avoir une chance de continuer ma vie , nous confiait-il la semaine dernière lorsque nous l’avons rencontré. Mais j’ai eu trois décisions négatives et ils veulent m’expulser vers l’Afghanistan. Donc me renvoyer en Suède, c’est comme me renvoyer en Afghanistan. »

Après ces trois refus de demandes de protection internationale en Suède, il a fui le pays scandinave parce qu’il est « en danger de mort en Afghanistan ». Un pays qu’il ne connaît pas et où il n’a jamais vécu. « Mes parents ont fui l’Afghanistan, il y a 22 ans à cause de la guerre , raconte-t-il. Je suis né en Iran. Là-bas, j’étais dans une école pour les enfants afghans. Pendant dix ans, tous les six mois, je devais refaire et payer ma carte de séjour. Les Afghans y sont mal traités. Et puis un jour, l’administration iranienne a décidé que je devais retourner en Afghanistan. Ce n’est pas possible parce qu’il y a une famille proche du gouvernement qui veut me tuer et puis là-bas c’est toujours la guerre.»

Comme en témoignent les attentats et les attaques des talibans de ces derniers jours : à Ghazni quelque 150 civils ont été tués en l’espace de cinq jours, dans la nuit de mardi à mercredi un attentat au centre d’éducation Mawoud a fait une cinquantaine de morts et un autre au même moment dans la région de Baghlan a fait une quarantaine de morts. Cette liste est non exhaustive.

«Je ne dors plus. J’ai peur d’aller en Afghanistan. Là-bas, c’est la guerre , répète M. Si on me renvoie en Suède, ils vont m’expulser en Afghanistan d’ici trois mois. Là-bas, je vais mourir .» C’est une réalité, depuis plusieurs mois, la Suède – comme l’Allemagne, la Norvège et les Pays-Bas – ordonne les expulsions des Afghans vers leur pays d’origine, selon un rapport d’Amnesty International daté du 5 octobre 2017.

Contrairement au Luxembourg, où un arrêt de la cour administrative datant du 4 janvier dernier a admis l’existence d’un «conflit armé interne» en Afghanistan et que «monsieur… est confronté, en cas de retour en Afghanistan, à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 point C de la loi du 18 décembre 2015». Mais cette jurisprudence n’a pas pu être utilisée par M. à cause de l’application directe du règlement Dublin III de l’Union européenne par le Luxembourg.

Dès son arrivée au Grand-Duché, ses empreintes ont été prises et les agents de la direction de l’Immigration ont constaté qu’elles étaient déjà enregistrées en Suède. Le Luxembourg se déclare incompétent en application du règlement Dublin III. M. est assigné à résidence à la SHUK, son transfert lui est notifié. Et le voilà de retour en Suède et probablement bientôt expulsé vers l’Afghanistan.

* Notre témoin a choisi de garder l’anonymat.

Guillaume Chassaing