Julien Doré sera à la Rockhal, le 5 avril, pour présenter son nouvel album, «&». Féministe et écologiste, l’artiste révélé dans «La Nouvelle Star» revendique sa poésie et porte un regard réfléchi sur son art.
La tournée de son dernier album «&» (prononcé «esperluette») vient de démarrer. Nous avons rencontré Julien Doré, 34 ans, quelques heures avant son concert aux Arènes de Metz, le 2 mars. Heureux de retrouver la scène.
Le Quotidien : Votre précédente tournée avait été très fatigante pour vous. C’est reparti ?
Julien Doré : Oui c’est le tout début, ça va être un marathon, mais différent parce qu’on joue moins de jours par semaine. Sur la précédente tournée, on jouait parfois cinq ou six fois par semaine. Tout va bien, j’ai eu assez de temps pour me poser les bonnes questions, écrire de nouvelles chansons, vivre quelque chose de complètement nouveau que j’ai envie de porter sur scène. Ce spectacle représente des mois de travail, aussi bien sur la musique que sur la mise en scène et les décors. Je suis tellement heureux de ce début d’histoire que je ne me pose pas du tout la question de la fatigue pour l’instant.
C’est un plaisir de retrouver la scène ?
C’est plus qu’un plaisir. Pour être très honnête, c’est vital. Si la scène n’existait pas pour moi, telle que je la visualise et que je la vis, je n’écrirais pas de chansons. Je pense même que vivre avec ma sensibilité au quotidien serait très compliqué s’il n’y avait pas la scène.
Comment qualifieriez-vous ce nouveau show en quelques mots ?
Musicalement, je travaille avec des gens avec qui je suis ami depuis dix-douze ans. On est potes, on passe nos vacances ensemble, donc on est juste excités de jouer les chansons du nouvel album. Même si nous jouons cette fois dans des salles plus grandes, j’ai gardé mon schéma de travail qui est de visualiser un concert non pas comme un concert, mais comme un spectacle.
J’ai trois actes, presque comme une pièce de théâtre, dans lesquels on glisse petit à petit. J’essaie d’injecter de l’intime, l’enveloppant de soleil, de douceur, avant de plonger dans des chansons beaucoup plus denses et sombres. Et puis de ressortir de cette vague-là, j’espère, avec un sourire et des souvenirs.
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Après l’’énorme succès de votre précédent album, «Love», et votre consécration aux Victoires de la musique (artiste de l’année 2015), avez-vous eu la pression ? Cela a-t-il été difficile de gérer ce succès pour se projeter vers autre chose ?
Non, je ne sais jamais à quel moment un nouveau disque est en train de naître. J’ai toujours l’impression que c’est une nouvelle histoire, que les choses sont remises à zéro, même si ce qui a été me nourrit. Je ne crée jamais en fonction de. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le succès ou l’échec, c’est la tentative. Je me dis que j’ai une chance immense de faire ce que je rêvais de faire quand j’étais petit, et donc que je dois occuper cette place avec le plus de liberté possible, quitte à me louper. J’aime beaucoup cette phrase : «Donne le meilleur de toi-même, parce que le résultat ne t’appartient pas .»
Dix ans après «La Nouvelle Star», qui vous a révélé, êtes-vous soulagé que cette émission ne vous colle plus à la peau, ou bien dites-vous encore merci à M6 ?
Non seulement je dis merci, mais en plus c’est un super souvenir. S’il y en a bien un, dans tous ceux qui font un peu de musique après ce type d’émissions (on est de moins en moins nombreux d’ailleurs), qui n’a jamais mis cette expérience sous le tapis, c’est moi. J’ai adoré, j’y injectais la même envie que maintenant. Les producteurs sont toujours mes potes et je continue de croiser les musiciens du groupe un peu partout. Je n’ai vraiment pas envie de renier ça.
Sa réinterprétation de la chanson « Lolita » dans « La Nouvelle Star » en 2007 :
Vous vous êtes isolé dans le Mercantour pour préparer votre dernier album. Pourquoi ? Vous avez évoqué un rapport avec les attentats de Paris…
C’est un cumul de choses. Je me suis posé la question de savoir si les artistes de cette société avaient encore une place. Est-ce qu’écrire des chansons, des livres, faire du cinéma, raconter des histoires, essayer de poétiser les choses, a encore un sens dans ce monde-là ? Effectivement ce que j’ai sous les yeux à cettte époque-là, c’est un monde au bord d’un gouffre, et mon propre pays qui est plongé dans une brume épaisse, lourde, où on baisse les yeux sans se regarder. J’avais besoin d’air, d’altitude, j’étouffais.
C’est la poésie trouvée là-bas que vous ramenez au public ?
Je me suis rendu compte que le plus grand des liens que je pouvais soigner avec l’autre, c’était grâce à ma musique, à mes chansons, et en montant sur scène, ma place à moi est là.
Vous dites que vous ne pouvez plus monter sur scène de la même manière qu’avant. Qu’est-ce qui a changé ?
Quand des gens abattent des centaines de personnes qui sont dos à l’entrée et qui vous regardent parce qu’elles sont là pour vous, vous avez une putain de responsabilité. Quand on vient sur scène avec ses chansons pour suspendre le temps pendant deux heures, ou quand on prend du temps de parole médiatique, on doit avoir conscience que ça a un sens. Sinon il faut faire autre chose.
Le jour où je ferai mes chansons du bout des doigts, j’arrêterai la musique dans la seconde. J’ai pris conscience de l’impact que peuvent avoir simplement ma présence ou mes chansons. Pas seulement à cause de ces événements, je le vois aussi auprès des enfants et de gens qui ont besoin d’un soutien dans une période de leur vie.
Vos chansons ne sont pas engagées à proprement parler. Vous cherchez plutôt à apporter une respiration poétique au public ?
Oui, mais la vision certes abstraite, vaporeuse, atmosphérique, de mes textes, est très ancrée dans le réel, dans ses racines. Ce que j’engage sur mon rapport au féminin et à la nature, et la place de l’homme au cœur de ce triangle-là, c’est très actuel. À travers ces images, j’essaie de soulever chez l’autre un écho, aujourd’hui ou demain dans les générations futures.
Je ne crois absolument pas à la chanson politique qui aurait un pouvoir d’action. Pour moi, quand on essaie d’écrire sur l’hyper réel dans un espace-temps défini, ça ne vieillit pas. Cela peut fonctionner quelques mois, une année. Il y a des choses qui deviennent le reflet d’une époque justement de par leur intemporalité. Peut-être que je dis ça parce que ça m’arrange et que je ne sais pas écrire des chansons politiques ! (rire)
Votre rôle d’artiste change-t-il avec la montée du populisme ?
Je pense catastrophique une société qui accepterait une dépoétisation totale et qui mettrait en marge les artistes comme des doux rêveurs utopistes juste là pour faire du divertissement. Une société qui leur dirait de ne pas prendre trop d’espace au motif que le monde des adultes est trop violent et qu’il doit débattre de choses sérieuses. C’est le discours le plus dramatique pour une société qui essaie encore de tenir debout. On court la pire des catastrophes avec ce raisonnement-là. Comme des millions de gens, j’ai perdu la foi envers le politique.
Il se dit que vous essayez de tout contrôler dans vos productions, jusqu’à la couleur de votre slip dans un clip. C’est vrai ?
Parce que je mesure que c’est une chance immense de pouvoir le faire. Ce n’est pas du «control freak», mais un respect du public. Il serait beaucoup plus grave de proposer un objet dégueulasse dont je n’aurais même pas choisi la photo. Je fais du son, mais j’ai envie de l’envelopper de quelque chose qui me ressemble aussi, un clip, une pochette de disque, un vynile… Des choses sur lesquelles je travaille autant que sur ma musique parce que j’aime ça. C’est le prolongement de ce que je fais.
Et s’agissant du contrôle de votre image dans les médias ?
Je me protège de moins en moins, parce que je me sens aussi de plus en plus heureux. Je parle très ouvertement, notamment depuis le précédent album. Je me sens beaucoup plus à ma place. Quand la lumière est braquée sur vous, vous protégez aussi certaines zones de votre vie. Mais les faux sourires du gendre idéal, ce n’est pas trop mon style !
Votre goût pour le «décalé» n’est donc pas prévu et maîtrisé à l’avance ?
Le mot «décalage» n’est jamais sorti de ma bouche une seule fois pour qualifier mon travail. Je vois ce que je tente de produire justement comme une liberté totale, un grand amusement et un regard d’enfant. Si on trouve que c’est décalé par rapport à ce qui se fait, tant mieux mais je m’en fous.
Sa version de « La Javanaise » en japonais :
Quand certains vous qualifient de bobo ou de dandy, ça vous inspire quoi ?
Ca me fait rire, j’ai passé huit ans de ma vie à nettoyer des façades, à travailler sur des chantiers… Je sais d’où je viens, je n’ai jamais bénéficié de quoi que ce soit, j’ai été indépendant dès l’âge de 18 ans et j’en ai chié de longues années… Si on imagine aujourd’hui que je viens d’une grande famille, que je suis bobo parisien, ça me fait sourire.
Dandy, je ne sais pas vraiment ce que ça signifie. Je suis à ma place, j’essaie d’injecter tout ce que j’ai quand je le fais. Dandy, Si cela implique une forme de distance, il suffit de voir un de mes concerts pour savoir que je suis très loin d’être en distance avec les gens qui m’aiment.
Pamela Anderson apparaît à la fin du clip de votre chanson «Le Lac». Vous l’avez vraiment choisie pour votre défense commune des animaux, ou c’était le rêve d’un gosse qui a fantasmé devant «Alerte à Malibu» ?
C’est justement l’inverse de ça. J’avais connu cette femme iconique dans cette série quand j’étais enfant, et je la redécouvre menant un combat, des dizaines d’années après, avec son image et l’argent qu’elle met dans sa fondation. Ce qui m’intéresse alors, c’est son parcours de vie , et l’accueil qu’elle a reçu quand elle est venue en France. J’ai justement voulu filmer sa beauté d’aujourd’hui, certainement pas comme l’imagerie désuète de cette série. Elle n’apparaît qu’à la fin du clip, après 3 minutes de nature vierge, comme une icône écorchée, sortie des eaux, presque maternelle, charnelle, sensuelle.
Clip vidéo de la chanson « Le lac », Pamela Anderson apparaît à partir de 3’10 :
Son combat est le vôtre aussi, vous êtes végétarien ?
Oui, depuis quelques années. Il ne s’agit pas simplement du respect des animaux, mais de l’urgence de pouvoir survivre sur cette planète. Ce n’est hélas pas encore établi dans toutes les têtes, alors qu’il est déjà trop tard d’une certaine façon.
Vous avez gardé contact ?
Bien sûr. C’est quelqu’un de très simple, pour qui j’ai beaucoup d’affection, et que je défendrai si c’était nécessaire.
Sylvain Amiotte
Julien Doré en concert à la Rockhal le mercredi 5 avril (20h, ouverture des portes à 19h). Tarifs : 38 euros debout, 55 euros assis. Infos sur le site www.rockhal.lu