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Jugé à Luxembourg pour avoir fourni les médicaments qui ont tué son ami


«Ce qu’il a pris, je le consommais tous les jours au petit-déjeuner. Je ne pensais pas que ça allait le tuer», regrette le jeune homme de 26 ans. (photo AFP)

Luke, 16 ans, est décédé des suites d’une polyintoxication aux médicaments. Certains lui avaient été fournis par John en échange de méthadone. Aujourd’hui, il regrette son inconscience.

Luke est décédé au lendemain de ses 16 ans, le 6 octobre 2019. Le jour de son anniversaire, il avait notamment consommé un cocktail de diazépam, d’oxycodone et de Xanax. Des médicaments qu’il avait échangés avec John, de six ans son aîné, contre de la méthadone. «Ce qu’il a pris, je le consommais tous les jours au petit-déjeuner. Je ne pensais pas que ça allait le tuer», regrette le jeune homme de 26 ans. «Je lui ai donné les médicaments dans l’état de griserie dans lequel j’étais à cette époque-là. Sans réfléchir.»

Aujourd’hui, John risque la réclusion à perpétuité pour avoir donné des médicaments à un mineur dont la consommation a entraîné la mort. Des doses toxiques ou létales de benzodiazépine, de cocaïne, de morphine dérivée de l’héroïne et de méthadone ont été retrouvées dans le sang de la victime. «Luke est décédé des suites d’une polyintoxication. L’oxycodone a eu un rôle tragique. Luke aurait pu survivre s’il n’en avait pas consommé», a expliqué un expert en toxicologie à la barre de la 12e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg mardi après-midi. John lui aurait transmis la substance.

Méthadone et autres médicaments

Les deux jeunes hommes s’étaient rencontrés par l’intermédiaire du père de la victime, dont John était le patient. Le père, qui ignorait la toxicomanie de son fils, espérait que John, ancien toxicomane, pourrait l’aider. «J’étais un danger pour moi-même», assure John. Pourtant, il décide de s’occuper de Luke. «Lui qui venait d’une famille dysfonctionnelle était flatté qu’on lui fasse confiance. Cela le changeait de ce que son père lui faisait ressentir. Il pensait que finalement, il n’était peut-être pas un bon à rien», rapporte l’expert psychiatre.

Le 4 octobre 2019, John a accompagné son jeune ami chez son addictologue. Il lui prescrit de la méthadone et d’autres médicaments. «Je n’avais encore jamais pris de méthadone. Je croyais que cela calmerait mes douleurs à la nuque», explique le prévenu. «J’ai proposé à Luke d’en échanger contre d’autres médicaments.» À l’époque, John consommait, entre autres médicaments, 20 mg de Xanax par jour, «près de 15 fois la norme», selon l’expert psychiatre, et 60 mg d’oxycodone par jour. Cet analgésique de la famille des opioïdes «est prescrit dans les phases terminales de cancer quand la morphine est inefficace».

L’expert judiciaire a conclu à une altération du discernement et de la capacité à raisonner du prévenu due à ses nombreuses dépendances, mais aussi à une tendance borderline, à une faible estime de soi ainsi qu’à la maladie neurologique dont il souffre.

«Une véritable pharmacie»

L’échange a lieu dans les toilettes d’un café de la capitale le 5 octobre 2019. Luke a passé l’après-midi avec ses amis. Le soir, vers 23 h, quand son père a récupéré les jeunes, il a trouvé son fils exténué. Il a dû l’aider à sortir de sa voiture. «Il est tombé dans son lit et s’est immédiatement endormi. Inquiet, son père s’est couché à ses côtés. Il savait que son fils avait eu une prescription de médicaments la veille, mais il ne savait pas que son fils se droguait», résume un enquêteur de la police judiciaire. «Il s’est réveillé à 2 h du matin parce que son fils respirait fort. À 5 h du matin, quand il s’est à nouveau réveillé, Luke ne respirait plus.»

Les amis de la victime pensent que Luke a dû consommer les médicaments dès l’après-midi lors de leur tour des cafés du centre de Luxembourg, note l’enquêteur. Ils auraient également pris de la cocaïne et de l’héroïne dans l’appartement familial en l’absence du père parti acheter une guitare pour l’anniversaire de Luke. «Ils sont ensuite sortis fumer un bang de CBD dans lequel Luke a pu mélanger de l’héroïne», ajoute le policier qui résume les propos du petit frère de la victime. «La nuit précédente, ils avaient déjà consommé des stupéfiants, nous a confié une amie de Luke.»

Le 15 octobre 2019, lors de la perquisition au domicile de John, les policiers ont mis la main sur «une véritable pharmacie» ainsi que sur des emballages vides de médicaments. Certains médicaments correspondent à ceux retrouvés au domicile familial de la victime que John considérait «comme son reflet à 16 ans». Leurs vies ont basculé en raison de mésententes au sein de leurs foyers. La mort de Luke est «tragique», mais «n’a aucunement été le fruit d’une intention malveillante de la part de John», a conclu l’enquêteur. «Elle a au contraire renforcé son état dépressif. Il n’était pas conscient des conséquences de son acte.»

Le tribunal avait émis un doute sur les motivations réelles du prévenu qui aurait pu voir une opportunité de se procurer de nouveaux médicaments en aidant Luke à décrocher de son addiction naissante aux stupéfiants. Le procès se poursuit ce mercredi après-midi avec notamment les parties civiles et l’audition de John.