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Journée de commémoration nationale : «Mon père a été fusillé et j’ai été déporté avec ma mère»


Ranimation de la flamme du monument national de la Solidarité luxembourgeoise au Kanounenhiwwel, à Luxembourg.

La mémoire des victimes de l’occupation allemande a été honorée dimanche à Luxembourg, lors d’une journée de commémoration chargée d’émotion et aux récits effroyables mais nécessaires.

Le ciel est gris, l’air frais, les visages solennels et le silence de plomb sur le Kanounenhiwwel (la colline des canons) à Luxembourg ce dimanche, Journée de la commémoration nationale en mémoire des victimes de l’occupation allemande entre 1940 et 1945. Pour sa deuxième apparition publique depuis son intronisation, le Grand-Duc Guillaume a troqué les joyeuses poignées de mains pour une cérémonie qui rappelle le deuil et la souffrance devant le monument national de la Solidarité luxembourgeoise.

Le Grand-Duc vient déposer une gerbe sur ce monument élevé en mémoire des victimes de la Deuxième Guerre mondiale, dont la cour intérieure, avec ses pavés, fait resurgir le souvenir des prisons, des camps de concentration et des casernes. Bien qu’éternelle, la flamme du mémorial est ensuite ranimée par le souverain, comme un symbole du devoir de mémoire qu’il ne faut cesser d’entretenir, malgré le chemin déjà parcouru.

«Pas de bonheur sans mémoire»

La commémoration étant divisée en plusieurs étapes, le cortège retourne ensuite au pied de la cathédrale, où le Grand-Duc avait assisté auparavant à un service religieux, afin de se recueillir devant le Mémorial de la déportation juive. Le monument Kaddish, du nom de l’une des prières les plus importantes du judaïsme, rappelle la mort des 1 300 juifs luxembourgeois tués par le régime nazi. «Il n’y a pas de bonheur sans mémoire», lance, ému, le président du Consistoire israélite, Albert Aflalo, lors de son discours.

Le représentant de l’institution chargée de gérer la communauté juive en profite pour rendre hommage aux otages israéliens venant d’être libérés par le Hamas. «Leur retour rallume nos âmes d’espoirs.» Et il appelle à intensifier la lutte contre l’antisémitisme. «L’engagement doit aller plus loin, que ce soit dans les lieux de culte ou les écoles», dit-il, évoquant «des enfants juifs isolés à l’école». Des propos qui peuvent faire écho à l’affaire récente de l’insulte antisémite prononcée contre un élève d’une école fondamentale près de la capitale.

Le Premier ministre, Luc Frieden, évoque, lui, plutôt le passé et l’horreur du camp de concentration d’Auschwitz, avant que le rabbin Alain Nacache prononce une prière sous l’œil surpris de certains passants, pas au fait de la commémoration.

Franck*, un passionné d’histoire, regrette d’ailleurs que «la mémoire publique est plutôt une mémoire officielle, avec quelques cérémonies et quelques dates, mais l’homme de la rue n’en parle sûrement pas souvent». «Je suis réaliste, les gens ne s’intéressent qu’à ce qui les passionne», dit-il, en observant la cérémonie et les dépôts de couronnes de fleurs devant la Gëlle Fra, où le cortège s’est déplacé.

Résistants et déportés honorés

Le parcours commémoratif se déplace ensuite à Hollerich afin de rejoindre l’ancienne gare, où sont montés dans un train, de force, des jeunes enrôlés dans l’armée allemande (lire ci-contre), des familles réinstallées en Allemagne de l’Est et des juifs déportés vers les camps. Enfin, tous les défunts ont également été honorés au cimetière Notre-Dame, devant la croix de Hinzert. Construite avec des poutres provenant du camp de concentration de Hinzert, en Allemagne, cette croix est le monument national de la Résistance et de la Déportation et la traditionnelle dernière étape de la commémoration.

Dans l’assemblée se trouve Albert Worré, 98 ans. «Nous habitions à Wiltz, où mon père a été arrêté à la suite de la grève d’août 1942», commence-t-il. Son père, Michel, était le directeur de l’office économique de Wiltz et l’un des organisateurs de la grève.

«Ensuite, mon père a été fusillé et j’ai été déporté avec ma mère dans différents camps en Pologne avant d’être libéré par les Russes. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que nous avons vécu.» Après une petite maladie et malgré la fraîcheur du jour, Albert Worré a décidé de faire sa première sortie à l’occasion de la commémoration, un rendez-vous qu’il ne veut plus rater. «J’ai été absent du Luxembourg pendant trente-cinq ans. Je ne pouvais pas venir, alors je cherche à rattraper tout cela. Je le dois à mon père.»

* Le prénom a été modifié

Les Luxembourgeois du maquis représentés

Parmi les drapeaux brandis au fil de la matinée, il en était un français. Edmond Faber, le secrétaire depuis 1998 de la section luxembourgeoise de l’association française des croix de guerre et de la valeur militaire, est fier de raconter une histoire souvent méconnue. «Les hommes nés entre 1920 et 1924 étaient d’abord emmenés pour du travail forcé en 1940 et 1941, puis c’est devenu obligatoire de rejoindre la Wehrmacht, mais plusieurs ont refusé», raconte-t-il.

«Il y avait un trajet de Differdange vers la France et le maquis en Auvergne où des Luxembourgeois, dont mon professeur de musique, ont pris le fusil contre les occupants allemands.» Le représentant de l’association évoque près de 450 ressortissants luxembourgeois ayant combattu de l’autre côté de la frontière et ayant été décorés par la France à l’issue de la guerre. «D’autres ont été arrêtés par la Gestapo et ont été déportés en Pologne, à Slońsk, où il y a eu le grand massacre en janvier 1945 où sont morts 91 Luxembourgeois et 730 autres prisonniers.»

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