Si le jeu vidéo est aujourd’hui une industrie à part entière séduisant de nombreux pays, le Luxembourg est encore à la traîne malgré quelques pionniers qui pavent le chemin.
Il est, depuis de nombreuses années maintenant, un incontournable au niveau tant culturel que commercial. En quelques décennies, le jeu vidéo s’est imposé aussi bien dans les foyers que dans nos poches parmi les multiples applications de nos smartphones. Si dans le monde son poids économique est considérable (voir encadré), l’Europe est devenue un terreau fertile pour cette industrie.
Fort de grands studios, le jeu vidéo représente aujourd’hui un vivier de 110 000 emplois sur le Vieux Continent. Mais parmi les grands noms comme le français Ubisoft (Assassin’s Creed), le suédois Paradox Interactive (Europa Universalis), le belge Larian Studios (Baldur’s Gate 3) ou le polonais CD Projekt Red (Cyberpunk 2077), de plus en plus de petites structures ont vu le jour depuis une quinzaine d’années.
Dopé par la dématérialisation de la distribution, le jeu vidéo indépendant occupe désormais une place certes très restreinte mais non négligeable au sein de l’industrie. La France compte par exemple de nombreux studios, allant d’une à quelques dizaines de personnes, et proposant des expériences différentes, moins ambitieuses mais souvent plus originales, que les gros titres phares. Juste de l’autre côté de la frontière, Flying Oak Games à Metz ou Goblinz Studio à Yutz ont réussi à se faire une (petite) place dans cette économie, soutenus par des organismes comme le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) ou des structures telles que Bliiida.
Une concurrence rude
Et au Luxembourg ? Le paysage est bien moins fourni. Tout comme au niveau de l’e-sport, le Grand-Duché n’est pas encore une grande place sur ce marché pourtant juteux. Si les petits développeurs existent, ils sont souvent seuls et n’en font pas leur métier. À travers gamedev.lu, Ralph Marschall a réalisé trois petits jeux dont Lockdown 2020 créé pendant une game jam (une compétition de création de jeux vidéo) où il a remporté le 3e prix. «J’ai commencé il y a sept ans alors que j’enseignais l’informatique au lycée. Je donnais un cours pour développer un jeu en 12 semaines.» Le trentenaire travaille seul et occupe tous les postes, même s’il aimerait bien avoir quelqu’un pour s’occuper des graphismes ou de la musique. «Là, j’ai commencé un jeu de voitures et je réfléchis aussi à faire un jeu PC horrifique.»
Mais impossible pour ce développeur web de vivre de cette passion, même si l’envie est bien là. «Ce serait super fun, c’est le support ultime qui mêle la technologie à l’art mais c’est aussi un domaine très brutal.» Avec l’essor du jeu vidéo indépendant, la concurrence est rude et il est compliqué de se différencier, notamment sans aucun moyen marketing. Ralph Marschall a donc décidé de faire un pas de côté et de montrer comment développer un jeu vidéo, les outils ne manquent pas, grâce à une chaîne YouTube. «Le mieux est encore de travailler sur mobile ou en VR (réalité virtuelle), c’est stimulant en termes de développement.»
La réalité virtuelle comme solution
La VR, c’est justement la technologie choisie par les quelques studios luxembourgeois comme 3WG ou Virtual Rangers. Chez ces derniers, on ne développe pas de jeux vidéo à proprement parler. «Mais on se sert des technologies du jeu vidéo pour créer des expériences en VR», explique son fondateur et CEO Matthieu Bracchetti.
Basée à Roeser, l’entreprise, fondée en 2017, travaille notamment avec des musées comme celui des mines à Rumelange mais aussi avec des organismes comme le CHL. Pour celui-ci, le studio a créé Help me doc une appli qui permet de réaliser une opération chirurgicale simplifiée pour présenter la médecine aux jeunes sur un ton décalé. «La VR est aussi très efficace dans la formation et permet de mettre en scène des situations impossibles à simuler dans la réalité.» Virtual Rangers a par exemple travaillé avec les CFL pour former les conducteurs sur de nouvelles locomotives.
Même si leur modèle économique n’est pas basé dessus, le jeu vidéo n’est jamais très loin mais se décline plutôt comme une activité annexe. «Nous développons un ou deux jeux par an.» Toujours de taille modeste, ils permettent à l’équipe de souffler entre deux projets. En revanche, le studio ne compte pas passer à la vitesse supérieure pour l’instant. «C’est un gros budget, c’est lourd à supporter.»
Si l’écosystème luxembourgeois est propice aux start-up, le jeu vidéo reste encore un monde inconnu. «Aujourd’hui, neuf personnes travaillent chez Virtual Rangers et nous ambitionnons de monter à 15 mais c’est difficile de recruter dans la région.» Mais pour Matthieu Bracchetti, les choses finiront par se débloquer, d’autant que la VR n’a pas dit son dernier mot. «Elle peut compter sur deux gros acteurs : Meta et Apple. Il y a un vrai souhait de faire évoluer cette technologie.»
Un marché mondial à 187 milliards de dollars
Première industrie culturelle, qui a supplanté le cinéma et la littérature, le jeu vidéo s’est taillé une place de choix dans l’économie mondiale. L’année 2023 devrait ainsi générer 187 milliards de dollars, le deuxième meilleur exercice de son histoire après les 192 milliards de 2021. Une performance qui n’a rien d’étonnant au vu des superproductions sorties ces derniers mois, The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, Hogwarts Legacy, Final Fantasy XVI, Spider-Man 2, Starfield… écoulées chacun à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires.
La plus grosse part du gâteau revient aux jeux mobiles qui représentent près de 50 % de ces revenus (92 milliards) mais les jeux consoles ne sont pas en reste avec 56 milliards de dollars générés sur l’année (30 %). Le jeu PC, depuis longtemps en retrait, rapporte tout de même 37 milliards de dollars, soit 20 % des revenus. Grosse consommatrice de jeux mobiles, l’Asie reste la terre du jeu vidéo avec 46 % de parts de marché (85 milliards de dollars) suivie de l’Amérique du Nord (51 milliards, 27 %) et de l’Europe (34 milliards, 18 %).
Mais cette santé économique resplendissante ne doit pas faire oublier que les licenciements se sont multipliés dans de nombreux studios à travers le monde. Plus de 6 000 salariés ont ainsi été remerciés depuis le début de l’année, notamment chez des géants de l’industrie comme Sony ou Epic Games, le développeur de Fortnite.