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«Je ne voulais pas ternir l’image du Kannerduerf», témoigne la victime à l’origine des révélations


«J’ai le sentiment que ce directeur m’a volé la vie que j’aurais pu avoir à un moment où, à 18 ans, j’étais pleine d’ambition», confie Christina

La victime à l’origine des révélations sur les présumées atteintes à l’intégrité sexuelle commises par l’ancien directeur du Kannerduerf à Mersch veut être prise au sérieux.

Abandonnée à l’âge de un an par une mère qui ne pouvait pas s’occuper d’elle, placée au Kannerduerf à 3 ans, Christina (nom d’emprunt), est la victime qui a porté plainte contre un ancien directeur du Kannerduerf, SOS village d’enfants, à Mersch. Aujourd’hui âgée de 41 ans, elle nous a raconté son parcours et surtout son traumatisme qui a ressurgi vingt ans après les faits.

«Je ne voulais pas ternir l’image du Kannerduerf, parce que j’y ai vécu des très bons moments. J’ai reçu une bonne éducation, j’étais bien nourrie et bien habillée», témoigne la quadragénaire. Elle aurait souhaité, cependant, être soutenue quand, à ses 18 ans, elle a affirmé avoir subi des attouchements de la part de l’ancien directeur. «Il m’a emmenée au cinéma pour mon anniversaire et il a eu les mains baladeuses. Il ne m’a pas agressée, et contrairement à ce qui était écrit dans la presse, il n’a pas essayé de m’embrasser dans la voiture, mais dans le parking je me suis sauvée en courant quand j’ai pressenti ce qu’il voulait faire», rectifie-t-elle.

Le 1er mars prochain, cela fera 24 ans que Christina vit avec ce traumatisme. «Je me posais déjà des tas de questions sur mon sort, pourquoi ma mère m‘avait abandonnée, pourquoi je me retrouvais au Kannerduerf, mais j’avais encore des objectifs et de l’ambition pour bien mener ma vie. Tout cela s’est écroulé après cet épisode.»

En 2003, après un passage en psychiatrie, elle quitte l’école. Quelques mois plus tard, elle était à la rue et sombrait dans l’alcool. «Personne ne m‘a tendu la main», lâche Christina, en visant les personnels du Kannerduerf à qui elle avait confié les faits qui s’étaient produits avec le directeur.

 Elle fréquente le foyer Ulysse, passe des séjours au centre thérapeutique d’Useldange. Dépressive, insomniaque, elle va jusqu’à demander un rendez-vous auprès de l’association Mäi Wëllen, Mäi Wee, pour le droit de mourir dans la dignité. Sa demande n’aboutit pas.

Des psychologues la prennent en main. Mis au courant de ce qu’elle a vécu quelques années plus tôt au Kannerduerf, ils l’incitent à porter plainte contre le directeur, mais elle refuse. Quand elle se décide à le faire, en juillet 2024, c’est trop tard, les faits sont prescrits.

«Je ne voulais pas alerter la presse, je ne voulais pas faire du tort au Kannerduerf, et si déjà il y a un article qui évoque mon affaire, alors il fallait au moins donner le nom du directeur», dit-elle.

Sa rancœur envers lui est énorme. Envers ceux qui se sont tus aussi. «J’ai le sentiment que ce directeur m’a volé la vie que j’aurais pu avoir à un moment où, à 18 ans, j’étais pleine d’ambition», confie Christina. Aujourd’hui, elle attend de passer des tests pour évaluer si elle peut trouver un emploi sur le premier marché ou si elle doit être dirigée vers un atelier protégé. La perspective d’être considérée comme travailleuse handicapée la ramène immanquablement à ce traumatisme vécu il y a plus de 20 ans et le silence qui s’en est suivi.

Plainte pour diffamation

Si elle est en quête de justice aujourd’hui, son affaire ne pourra plus être jugée. Elle a recherché elle-même des victimes potentielles qui, à l’époque des faits, ont subi des comportements déplacés de la part du directeur, mais en vain. Pourtant, Christina sait très bien que le directeur, qui a pris sa retraite en 2014, se rendait encore au Kannerduerf en tant que bénévole avant de se voir infliger une interdiction de se rendre dans la structure. «Ce n’est pas pour rien qu’il a subi ce sort», déclare la victime.

Elle attendait du soutien de la part des personnes qui avaient le devoir de la protéger, elle et tous les enfants placés au Kannerduerf.  Aujourd’hui elle se console avec la décision de la direction, prise en mars dernier, de procéder à un signalement au parquet.

Elle n’a jamais plus rencontré l’ancien directeur. En revanche, elle a porté plainte contre lui pour diffamation. Dans le cadre de l’enquête qui a suivi sa plainte en 2024, il a été entendu par la police et sa déposition a été une nouvelle gifle pour la victime. «J’ai su en consultant le dossier qu’il avait nié les faits et m’avait accusée de mensonges, entre autres». Elle a porté plainte pour diffamation, cette fois.

«Je suis peut-être sans famille, seule et perturbée par un traumatisme, mais je suis une personne honnête.» Christina espère être prise au sérieux, c’est vital pour elle. Ce qu’elle ignore, c’est le temps que mettra la justice pour instruire sa plainte pour diffamation.