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Jardins minéraux : gravier partout, nature nulle part


Les jardins minéraux semblent avoir vécu leur heure de gloire.

Privilégié par les propriétaires pendant un temps, le jardin minéral n’a plus bonne presse. Les communes ont enclenché la transition.

Obscure clarté», «douce violence», «hâte-toi lentement»… sont quelques-uns des exemples les plus courants pour illustrer la définition d’un oxymore, cette figure de style qui consiste à réunir deux mots de sens contradictoires.

Pour en trouver d’autres, il suffit de se promener. Et là, au pied d’une résidence ou d’une habitation récente, surgit un oxymore de chair et d’os, ou plutôt de terre et de cailloux : le «jardin minéral». «Ce n’est plus un jardin, ce sont des pierres», soupire Claire Wolff, du Mouvement écologique (Méco).

Très à la mode il y a une quinzaine d’années, ces sols en graviers blancs ou gris, souvent plantés de buis, promettaient un entretien minimal et un aspect toujours impeccable.

«Les cailloux sont propres, mais c’est mort aussi», ironise Claire Wolff, qui lâche dans un grand sourire : «En plus c’est moche et c’est cher.»

Ce n’est pas tant l’aspect esthétique qui l’irrite – ne dit-on pas que tous les goûts sont dans la nature – que les conséquences de ces jardins minéraux sur la biodiversité, dans un contexte de réchauffement climatique.

«Les insectes ont régressé pendant les dernières décennies, c’est notre base vitale que nous sommes en train de vraiment détruire. Quand on possède un jardin, on a le devoir de promouvoir la nature, à des degrés divers, mais avoir du gravier, ne va pas dans le bon sens», soupire-t-elle.

Ce type de jardin n’abrite en effet pas ou si peu de vie – «il y a peut-être une ou deux espèces de sauterelles qui s’y plaisent», concède Claire Wolff, «mais pour le reste, c’est le désert».

Pas de nourriture, donc pas d’insectes, donc pas d’oiseaux. En transformant les jardins en décors stériles, on coupe les chaînes alimentaires à la racine. En plus, les espèces végétales utilisées sont souvent exotiques, sélectionnées pour leur aspect décoratif, mais dénuées de tout intérêt pour la faune du coin.

Et au-delà de leur stérilité, ces jardins minéraux jouent aussi un rôle dans l’augmentation des températures locales. Sylvain, jardinier, l’explique simplement : «La pierre, comme le béton, emmagasine la chaleur toute la journée et la relâche la nuit. C’est comme si tu passais un chalumeau en continu.»

Résultat : il n’y a jamais de moment où la terre se rafraîchit, pas même après une averse : «Le sol est tellement chaud que l’eau s’évapore aussitôt, il ne peut même pas emmagasiner l’humidité», précise-t-il encore.

Sous les cailloux, une toile géotextile empêche les mauvaises herbes de pousser, mais elle bloque aussi les échanges avec le sol. Compactée, dévitalisée, la terre s’appauvrit : «Il n’y a plus rien, tu as tout cramé», reprend Sylvain.

Adieu vers de terre, bactéries, galeries qui permettaient à l’eau de circuler. Il ne subsiste qu’un minidésert.

«Ils ont payé ça la peau des rouleaux»

Conscientes de cette problématique, des communes et le gouvernement ont réagi. Depuis 2021, il est possible de transformer le règlement des bâtisses pour qu’il colle au Pacte nature. «L’initiative ne vient pas de nous», reconnaît Guy Legill, secrétaire communal de Schengen.

«C’est un règlement type proposé par le SIAS, notre syndicat intercommunal. On l’a voté le mois dernier, maintenant, on attend qu’il entre en vigueur.»

À l’est du pays, une vingtaine de communes sont membres de ce syndicat à vocation environnementale qui a élaboré une série de recommandations – comme le Méco l’a fait aussi – pour limiter, voire interdire les jardins en gravier.

Tom Dall’Armellina, conseiller au SIAS, pilote cette transition : «On ne veut pas interdire brutalement. L’idée, c’est de limiter le gravier à 5 ou 10 % de la surface du jardin», explique-t-il. «On sent que les communes sont de plus en plus réceptives, mais elles hésitent encore à contraindre les habitants.»

Certaines ont pourtant franchi le pas, depuis plusieurs années, interdisant aux propriétaires de nouvelles constructions d’avoir un jardin minéral. «Sept sur les 21 communes membres du SIAS ont une limitation concernant les jardins en gravier, dont 4 qui les interdisent complètement», compte Tom Dall’Armellina.

D’autres, comme à Junglinster,  proposent une aide financière pouvant aller de 50 euros par mètres carrés, dans une limite de 1 000 euros, pour encourager la transformation des parcelles en cailloux en espaces végétalisés.

Le SIAS  a traité cinq demandes de subsides en un an pour cette commune. D’autres encore mettent à disposition des nouveaux arrivants des brochures du Méco prodiguant des conseils sur des façons d’aménager plus vertes.

Ces initiatives sont une manière douce d’amener le changement, sans brusquer, estime Claire Wolff. Et au Luxembourg, comme ailleurs, la régulation ne peut avoir lieu sans exemple : «Une commune ne peut pas exiger des habitants ce qu’elle ne met pas en pratique dans ses propres espaces publics.»

«Les jeunes sont plus réceptifs, ils ont grandi avec cette idée qu’il faut penser à la nature», remarque Sylvain. «Mais ma génération (NDLR : les quadragénaires), elle s’en fout un peu : ils ont payé ça la peau des rouleaux et n’ont pas envie de recommencer.»

La bascule semble donc amorcée. Les jardins minéraux ont eu leur heure de gloire. Vivent – comme dans les dictionnaires – les jardins verts!

Le Pacte nature

Créé en 2021 par le ministère de l’Environnement, le Pacte nature est un programme qui incite les communes à s’engager pour la biodiversité. En échange d’un système de points, elles peuvent bénéficier de subventions.

Parmi les 140 mesures proposées, plusieurs ciblent le milieu urbain : interdiction des produits phytosanitaires, végétalisation des toits, hôtels à insectes… ou encore limitation des surfaces imperméables comme les jardins de gravier.

Ces actions s’inscrivent dans une stratégie plus large de renaturation des espaces publics et privés. En juin 2024,  84 des 102 communes du pays l’avaient signé.

« Tu as planté, il faut suivre »

Comment remplacer son jardin de gravier par des massifs qui demandent un entretien minimal ? Sylvain, jardinier, répond.

Quand les jardins minéraux ont commencé à être à la mode, on ne voyait pas les problèmes qu’ils allaient poser ?

Sylvain : Non parce que les cinq premières années, ça va : la plante arrive à se nourrir, le sol est encore là. Mais il y a un moment, ça s’appauvrit, puis il n’y a plus rien.

La seule solution qu’on avait à l’époque pour maintenir les plantes en l’état, c’était un apport d’engrais. C’est quand même dommage.

Comment peut-on renaturer un jardin ?

Il faut tout enlever. Évacuer les pierres, la toile, décompacter les sols, apporter de la matière organique comme du compost et ça permet un petit peu de corriger le sol.

Pour ceux qui ne veulent pas refaire complètement leur jardin, le Méco suggère de retirer du gravier par endroits, d’y mettre du terreau et de planter des herbes méditerranéennes qui poussent aussi au Luxembourg.

C’est toujours plus simple d’y aller par étapes que d’arriver radicalement en disant « vous arrêtez tout, vous plantez ». C’est une façon comme une autre d’amener les gens tout doucement à changer, à réfléchir.

Que peut-on planter à la place ?

On peut mettre des plantes couvre-sol. Les vincas (NDLR : des espèces de pervenches vivaces), ce sont des plantes sympas, de couleurs, de fleurs et de hauteurs différentes.

Le lierre aussi, c’est rustique, ça tient. On peut avoir des plantes qui font 10 cm de haut, qui poussent peu, et on les maintient sans aucun problème.

Qu’est-ce que ça change pour la biodiversité ?

Il y a à nouveau des souris, des lézards, des insectes… Cela crée un biotope qu’il n’y avait absolument plus. C’est cent fois mieux.

Et au niveau de l’entretien ?

On ne peut plus ne pas avoir d’entretien quand on a changé. C’est comme ça. Tu as planté, il faut suivre (il rit). Mais il y a des couvre-sols qui demandent un minimum d’entretien.

Après deux ans, on est plus tranquille. On peut tailler de temps en temps, mais on laisse les tiges, les feuilles, un peu de matière au sol. Et on laisse vivre, il y a des plantes qui disparaissent en hiver, qui reviennent au printemps, il y a un minimum de déchets.

Quelle est désormais la tendance pour les jardins ?

Les gens veulent de plus en plus de fleurs, un coin pour les enfants, une prairie fleurie. Ils aiment bien ce mot-là : biodiversité.

Quand on arrive dans un jardin neuf, avec des façades noires et du gravier, ça tape, alors que dans les vieux jardins, on ressent l’ombre, la fraîcheur. On voit directement la différence.

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