Les pieds au cœur de la capitale, les mains dans la terre. Daniel Bonnans, membre de «Transition Pétrusse», nous raconte la nouvelle dimension du jardinage social en temps de confinement.
Le confinement permet de vivre autrement.» L’antienne est sur toutes les lèvres. Les gens lisent, prennent du temps avec leurs enfants. Se redécouvrent mille passions, les partagent sur les réseaux… Il y a, dans ce confinement, quelques bulles d’air appréciables. Pour certains, on peut carrément parler de grandes bouffées d’air. C’est le cas des habitants qui jardinent les parcelles de la Pétrusse, à Luxembourg.
«Je télétravaille chez moi depuis le début du confinement. Les interactions sociales sont plutôt rares, souffle Daniel Bonnans. Alors le jardin communautaire, plus que jamais, est un espace précieux.» Daniel, 55 ans, est employé à SES. Ce résident de la Ville fait partie de l’association du jardin communautaire de la Pétrusse (une initiative de Transition Stad). «Nous sommes une dizaine à cultiver cet espace de 700 m2 non loin du pont Adolphe. L’association verse un loyer à la Ville, mais nous n’avons pas de chef : nous partageons le travail et les récoltes du jardin, sans notion de parcelle individuelle.»
Depuis le début du confinement, un noyau dur se retrouve tous les jours, sur rendez-vous, en respectant les distances de sécurité. «Nous ne sommes jamais plus de trois dans le jardin, précise Daniel. Nous avons des masques ou des bandanas, que l’on met à chaque fois que l’on doit aller chercher un outil à la cabane. Pour le reste, on peut parler à bonne distance… Souvent lointaines même, puisque le jardin de la Pétrusse est en pente, donc en terrasses !»
Bain de soleil et travail de la terre
Salade, carotte, potiron, courgette ou chou : à chaque jour sa promesse, à chaque printemps succèdera l’été. Daniel nous raconte les moments passés au jardin avec hédonisme : «Nous prenons le soleil, nous travaillons physiquement la terre et ça fait du bien. Nous entretenons des relations amicales : le jardin social ne se résume pas à l’aménagement d’un lopin de terre.»
Daniel n’a jamais autant occupé le jardin. «L’organisation n’a pas changé depuis la crise, on utilise toujours WhatsApp pour se coordonner. Par contre, avec le télétravail, on se rend compte que c’est possible de bien travailler tout en se permettant une escapade d’une heure ou deux au jardin. C’est assez fantastique : ça fait réfléchir à l’organisation du temps dans la journée, aux possibilités que l’on ignorait.»
La nature n’attend pas la fin du confinement
En temps normal, les membres du groupe ne vont au jardin que le week-end, une fois le stress de la semaine derrière. «Il suffit d’un coup de chaud et les semis sont séchés. La nature ne réfléchit pas en termes de week-end !» Pas plus qu’elle ne réfléchit en termes de confinement. «Il fallait que l’on redémarre l’activité dès l’arrivée du printemps, souligne Daniel. Surtout que nous fonctionnons selon les principes de la permaculture : adapter le jardin à la nature, et non l’inverse.»
Durant tout l’hiver, les jardiniers ont recouvert les sols de matières nutritionnelles, comme du miscanthus et du compost. Avec le printemps, c’est le moment de planter «serré pour minimiser l’évaporation d’eau», et surtout «diversifié». «Autant de légumes, fleurs et de plantes sauvages qui poussent naturellement et qui sont comestibles», précise Daniel.
Le mouvement des jardins en transition est planétaire. Le jardin de Luxembourg a été fondé en 2011, il en existe aussi en dehors de la Ville. «À chaque fois, l’idée est de promouvoir la résilience : montrer que chacun peut se réapproprier le travail de la terre, que l’on peut « faire » sans acheter du neuf, avec les moyens du bord.»
Le jardinage communautaire constitue un lieu pour «acquérir les compétences permettant de produire nous-mêmes notre nourriture, insiste Daniel. De fait, le jardin devient ainsi un lieu magique qui rend des racines à des citoyens qui y retrouvent une communauté, un sens et une appartenance.»
La résilience, un thème d’actualité, non ? «Probablement, acquiesce Daniel. Je pense que nous allons vers des changements de société importants, où la flexibilité par rapport au travail, le rapport à l’autre et à la nature vont compter.» Autant de mots clefs dans les clefs avec lesquels s’écrivent l’expérience du jardin social.
Hubert Gamelon
Pas eu besoin de la réouverture des jardineries
Les jardineries ont rouvert lundi au Grand-Duché, dans le premier mouvement du déconfinement.
Le jardin communautaire de la Pétrusse n’a toutefois pas eu besoin d’aller faire des courses.
«Nous disposions d’un important stock de graines, explique Daniel. Il s’agit de variétés anciennes que nous récupérons de nos plantes ou avec l’association luxembourgeoise Seed, dans lesquelles nous voyons une meilleure adaptation à la nature ici.» Les jardiniers de la Pétrusse ont pu proposer du stock à d’autres jardins communautaires.
Et pour le reste? «Accompagner la nature, plutôt que lui forcer la main, répond Daniel. Par exemple en couvrant les sols de matières organiques, nous nourrissons les vers et la vie microscopique du sol, qui en retour fournit les engrais nécessaires et retourne le sol pour nous!»
Une «technique paresseuse» et efficace.
En lien avec la recherche
Les jardins en transition constituent également un laboratoire participatif pour la recherche. Celui de la Pétrusse est en relation étroite avec le Centre for Ecological Learning Luxembourg (CELL) et le musée national d’Histoire naturelle. «Nous allons tester de nouvelles méthodes d’arrosage, explique Daniel. On parle de « pots en terre cuite Oyas ». Ils sont enterrés dans le sol, remplis d’eau qui se diffuse selon les besoins des plantes. Les pertes en évaporation sont minimales. On peut gagner jusqu’à 70 % d’arrosage.» Plusieurs jardins communautaires vont faire partie du test au Luxembourg, dont celui de la Pétrusse.
Des projets sont également menés concernant la vie pratique, «comme un projet d’épicerie participative Altercoop, incubé par notre association».