Comment l’Italie, l’un des six pays à l’origine du projet européen et qui en a célébré les 60 ans en grandes pompes l’an dernier, est-elle devenue le premier d’entre eux à se doter d’un gouvernement populiste et eurosceptique ?
Même si elle s’inscrit dans un mouvement plus large après le Brexit, l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis ou le succès de Viktor Orban en Hongrie, l’arrivée au pouvoir de la Ligue (extrême droite) et du Mouvement Cinq Etoiles (M5S, antisystème) fait de l’Italie « une sorte de laboratoire du populisme », s’inquiétait récemment le quotidien La Repubblica.
Les experts l’expliquent en premier lieu par un « désamour » envers l’Union européenne, coupable d’avoir imposé l’austérité comme seule réponse à la crise ou encore d’avoir tourné le dos quand l’Italie s’est retrouvée face au défi migratoire.
L’économiste et sénateur de la Ligue Alberto Bagnai, inspirateur de l’euroscepticisme de Matteo Salvini, raconte ainsi qu’à son arrivée au Sénat après son élection en mars, il a commencé par aller « remercier » son nouveau collègue Mario Monti.
Cet ancien commissaire européen a remplacé Silvio Berlusconi à la tête du gouvernement en 2011, en pleine crise financière, et imposé une politique d’austérité pour restaurer la confiance des marchés, en particulier une réforme des retraites sur laquelle la Ligue et le M5S ont promis de revenir.
« Ce gouvernement a été perçu par les Italiens comme un gouvernement de Bruxelles. L’Italie s’est sentie mise sous tutelle par Bruxelles et cela a créé immédiatement une réaction: le M5S et la Ligue sont une réaction au gouvernement Monti », renchérit Giovanni Orsina, professeur de Sciences politiques à l’université Luiss de Rome.
« En plus, l’Italie a eu à partir de 2014 une explosion des arrivées de migrants, mais elle n’a pas obtenu la protection de l’UE », rappelle M. Orsina.
« Même les partis pro-européens comme le Parti démocrate (PD, centre-gauche) ou Forza Italia (droite) avaient annoncé pendant la campagne électorale leur volonté de chercher à modifier la politique actuelle d’austérité de l’UE », ajoute son collègue Lorenzo De Sio.
« Selon nos recherches, 70% des électeurs du M5S veulent rester dans l’euro et dans l’UE mais pas telle qu’elle est actuellement », précise M. De Sio.
Un constat désabusé partagé par le président de la République, Sergio Mattarella, qui dans un discours sur l’UE à Florence soulignait récemment « la conviction diffuse parmi les citoyens européens que le projet commun a perdu sa capacité de répondre réellement aux espoirs ».
Rejet de la vieille classe
A ce désamour pour l’UE vient se greffer un rejet de la vieille classe politique, la « caste » perçue en Italie comme particulièrement inefficace ou corrompue, et cela depuis des décennies.
« Les mesures impopulaires prises par les précédents gouvernements n’ont pas entraîné la reprise espérée, donc le vote exprime aussi la volonté de changer une classe politique inefficace », estime M. De Sio.
En outre, le M5S et la Ligue « ont certes fait des promesses exagérées mais ils ont au moins donné l’idée d’une certaine autonomie vis-à-vis de Bruxelles, une sorte de retour de souveraineté », ajoute cet expert.
Les deux partis antisystème ont aussi exploité la profonde fracture entre le Nord, qui a voté massivement pour la Ligue en raison de la pression fiscale et de l’inquiétude face au défi migratoire, et un Sud en perpétuel retard économique, qui se sent délaissé par les partis traditionnels et a plébiscité le M5S.
« Le vote des Italiens a été un vote de colère, par certains aspects de peur, pour d’autres d’espoir, mais surtout, il a démontré que ces sentiments n’étaient plus gérés par la politique » traditionnelle, explique Marco Damiliano, directeur de l’hebdomadaire L’Espresso.
Et depuis 25 ans, « l’Italie cherche de nouvelles formes politiques », ce qui en fait selon lui un laboratoire, précurseur de tendances: Silvio Berlusconi avant Donald Trump, le M5S avant Podemos, Matteo Renzi avant Emmanuel Macron…
M. Orsina rappelle ainsi que la crise politique italienne du début des années 90 a produit l’arrivée de « Berlusconi qui peut être considéré comme un protopopuliste ».
Le Quotidien / AFP