Deux cents personnes ont manifesté lundi devant l’hôtel de ville de Luxembourg contre l’interdiction de la mendicité qui devait être débattue lors du conseil communal du jour.
L’interdiction de la mendicité n’en finit pas de faire débat, chaque camp restant figé sur ses positions. Fermement assis sur les marches de l’hôtel de ville de Luxembourg lundi, ils étaient environ 200 à tendre leur gobelet et leur pancarte afin de protester contre l’article 42 du règlement de police.
Réunis à l’appel des sections jeunes de déi jonk gréng, des Jonk Sozialisten et de déi jonk Lénk, les manifestants ont profité de la séance du conseil communal, prévue à 14 h 30, pour faire entendre leur colère. Tandis que les représentants de déi gréng, du LSAP, de déi Lénk et du Parti pirate devaient présenter au conseil du jour leur motion commune contre l’interdiction, les jeunes pousses ont pris le relais dans la rue.
«Je suis content qu’il y ait du monde et surtout des jeunes», note Fernando, la soixantaine. «C’est intéressant qu’il y ait une jeunesse qui se mobilise, car même s’il n’y a pas beaucoup de pauvres dans cette manifestation, eux sont là pour aider les plus démunis.»
Qu’elle soit encartée, mégaphone en main ou dans la foule avec une pancarte, la nouvelle génération était présente et semble investie dans ce combat contre l’interdiction de la mendicité.
Bien plus que ses aînés, selon Betty : «À Luxembourg, il y a une certaine bourgeoisie qui vote pour la bourgmestre depuis des décennies et j’espère que cela va changer, que les jeunes vont changer cela.»
La démocratie menacée ?
Pour Max Molitor, coprésident des Jonk Sozialisten, le changement est urgent face à l’interdiction. «Nous, comme parti progressiste, on pense que c’est la mauvaise façon de gérer le problème. Il faut aider les pauvres et pas seulement les mendiants.»
Alors que la bourgmestre Lydie Polfer assurait dans nos colonnes, vendredi dernier, que les policiers allaient à la rencontre des personnes en situation de mendicité avec «beaucoup de tact», faisant la différence entre le phénomène organisé et les mendiants seuls, le jeune militant estime que «c’est une blague». «Je suis un peu méfiant, car ça sera difficile de faire la part des choses», pense aussi Fernando.
La base légale d’une telle interdiction, de 7 h à 22 h, était également sur toutes les lèvres. Pour les opposants à l’article 42, ce dernier est illégal et la mendicité est un droit. «Ce qui me touche, c’est que c’est de l’abus de pouvoir. Il y a des juristes de haut vol qui s’expriment contre la légalité de l’interdiction, mais c’est ignoré par les politiciens. Je trouve cela inquiétant dans une démocratie», alerte Betty.
«Madame Polfer n’a pas réussi à clarifier la situation législative, cette interdiction n’a pas de réglementation pénale, donc on la considère comme une attaque à notre État de droit», ajoute Max Molitor, en référence à la loi de 2008 qui a entraîné par erreur, selon Lydie Polfer, la suppression du point sanctionnant la mendicité dans le code pénal.
«Il faut les remettre en vie»
Au-delà de la forme, le fond de l’interdiction dérange également Fernando : «Je suis vraiment contre cette idée de nettoyer la Ville pour montrer que tout le monde est satisfait, que tout le monde est heureux. Les droits de l’homme sont les droits de l’homme.»
Issu d’une famille ayant connu «des difficultés», le sexagénaire pense qu’il faudrait plutôt encadrer psychologiquement les mendiants, construire plus de centres contre les addictions ou leur offrir du travail. «Il faut les remettre en vie», résume-t-il.
Pour les alternatives à l’interdiction, dont le but est d’apporter plus de sécurité, selon la Ville, Max Molitor cite également le projet d’«Housing first» afin d’intégrer les personnes dans la rue, souvent contraintes de mendier, en leur donnant un logement. «En Finlande, ils l’ont appliqué et la situation s’est vraiment améliorée.»
Malgré l’interdiction, un tel projet est dans le programme de la Ville et devrait bientôt voir le jour, selon Corinne Cahen, échevine responsable de la politique sociale, interrogée à ce sujet le 12 janvier dernier. En attendant, l’interdiction de la mendicité suit son cours, entachant pour certains l’image du nouveau gouvernement.
«Ça me fait peur, ce n’est que le début du gouvernement et je trouve cela important d’en faire un symbole pour dire : « Non, pas de ça avec nous« », confie Eileen. Des appels à la démission ont notamment été scandés envers Léon Gloden et Lydie Polfer, le ministre des Affaires intérieures et la bourgmestre étant les deux visages de cette interdiction.
«Ce n’est pas un problème politique, mais de survie»
Parmi les 200 manifestants, Joss (nom d’emprunt) était sûrement l’un des plus concernés par le traitement des personnes en situation de mendicité : «Cela me tient à cœur, car je le vis.» Sans abri depuis un an, le Luxembourgeois était présent afin de mettre la lumière sur les mendiants qui, comme lui, sont en situation légale, mais n’ont pas de revenu.
«On peut travailler des années au Luxembourg jusqu’à ce qu’on perde son emploi et là, on se retrouve sans adresse légale, on perd le Revis, la sécurité sociale, la CUSS», explique-t-il. «Donc, même si on peut manger à la Stëmm, mendier, c’est vital.» Il évoque notamment l’achat de produits d’hygiène, de fruits ou encore d’un portable.
[image media_id="455793" style="landscape" position="center" caption="Joss, sans abri et mendiant depuis un an, était présent afin de mettre la lumière sur le manque de logements sociaux nécessaires afin de sortir de la rue." credit="Photo : morgan kervestin"]Depuis que les contrôles de police sont mis en place, «je me cache», confie-t-il. «Je les évite pour ne pas avoir de problèmes.» Bien que les forces de l’ordre ne dressent pas de procès-verbaux à ce jour, «les policiers relèvent les identités, disent qu’on n’a pas le droit de mendier et qu’il faut cacher les gobelets», la méthode employée par la Ville le choque. «C’est normal de voir six policiers en gilet pare-balles, avec un chien, pour dire à un mendiant de ne pas mendier?»
Concernant la polémique actuelle, le Luxembourgeois regrette «la récupération politique». «La mendicité, ce n’est pas un problème politique mais de survie.» L’essentiel, selon lui, est d’augmenter l’offre de logements sociaux.
«Quand on est resté sans logement depuis plus de six mois, on ne peut plus aller au foyer Ulysse ou au foyer Abrisud. Donc il faut aller à la Wanteraktioun pendant cinq mois, mais est-ce que c’est une solution?»