À l’occasion du 30e anniversaire du prix Servais, une superbe exposition à l’initiative du Centre national de littérature propose de (re)découvrir les lauréats à travers des installations immersives, à la croisée des arts.
En 1992, la Fondation Servais pour la littérature luxembourgeoise décernait son premier prix. Trente ans plus tard, le Centre national de littérature (CNL) célèbre cette date anniversaire avec une exposition, «Imaginer Servais», qui se divise en 30 courtes expériences qui font se rencontrer la littérature, la photographie et la création sonore. «Faire entrer le visiteur dans le livre lui-même», voilà l’ambition de cette exposition, affirme Nathalie Jacoby. À l’approche de la date anniversaire, celle qui est à la tête du CNL depuis octobre 2020 avait considéré l’idée d’une exposition comme «une évidence» pour célébrer l’un des plus importants prix littéraires du Luxembourg. «Puisque le prix Servais récompense les ouvrages, cela allait de soi que l’on allait mettre les livres à l’honneur», poursuit-elle.
Le travail effectué rend très fière Nathalie Jacoby et toute l’équipe du Centre national de littérature, car «tout le monde, au CNL, a participé à la création de l’exposition», explique la directrice. Mais sur place, tout le monde n’est pas artiste, scénographe ou conservateur; c’est justement ce qui fait la particularité d’«Imaginer Servais», qui se déploie à travers les cinq salles du rez-de-chaussée de la Maison Servais, à Mersch, qui abrite le CNL. Que l’on commence la visite par la porte de gauche ou celle de droite importe peu. Dans cette exposition singulière, chaque visiteur fait ses propres règles. Seul le concept ne change pas : on entre avec un casque audio et l’on explore, l’une après l’autre, les 30 cabines individuelles, qui ne se suivent pas par ordre chronologique ou alphabétique, mais de façon aléatoire. Une manière de faire ressortir la diversité de la littérature luxembourgeoise par le biais d’un prix qui a aussi bien récompensé le roman, le recueil de nouvelles ou la poésie, et dans les trois langues du pays.
Trente courtes installations
Nathalie Jacoby insiste sur le fait que l’exposition ne consiste pas à donner «un résumé de chaque livre», mais bien de présenter un travail de création pensé pour chaque ouvrage. À l’intérieur des cabines, dont les séparations sont – forcément – faites de papier, le spectateur pourra admirer une proposition photographique et s’immerger encore plus dans l’univers du livre grâce à une création sonore – toujours dans la langue d’écriture du livre –, où la musique donne le ton, presque systématiquement accompagnée d’un extrait lu ou d’une archive de l’auteur(e) faisant un commentaire sur son travail.
Avec 30 créations, développées au départ par douze curateurs à travers des «boîtes à outils» ayant servi de bases aux installations finales, chaque cabine propose une courte immersion dans l’univers ou l’ambiance de l’ouvrage en question, entre deux et quatre minutes. La directrice du CNL reconnaît qu’aborder un livre en si peu de temps est «un pari», mais l’exposition réussit l’entreprise de plonger le visiteur à l’intérieur des pages et lui donner une impression instantanée de son contenu, dans la forme ou dans le fond.
Construire ses propres mondes
Parmi les nombreuses personnes ayant participé à la création de l’exposition «Imaginer Servais», il faut admirer les superbes atmosphères des trois créateurs sonores – Martin Engler, Paul Ford et Luka Tonnar – et l’impressionnant travail photographique de Véronique Kolber. Nathalie Jacoby explique avoir tenu à faire ce projet avec cette dernière «car elle a une véritable sensibilité littéraire dans son travail» à l’image. Dans la méthode aussi : la photographe a utilisé les boîtes à outils conçues par les curateurs, mais sa connaissance et ses souvenirs des ouvrages ayant reçu le prix Servais ont déclenché chez elle des idées et des pistes de recherche.
«Je me suis évadée dans mon propre monde», dit Véronique Kolber. Comprendre : ses propres archives, soit 25 ans de photographie. «J’ai associé mes idées à mes propres photos, dont certaines que je n’avais jamais exposées ni utilisées. Puis j’ai réalisé de nouveaux clichés…» La lectrice assidue confirme aussi n’avoir jamais écouté les enregistrements audio, de même que les créateurs sonores n’ont jamais vu les photographies durant la phase de création. Ce qui donne encore plus de force et de profondeur aux installations, d’autant que Véronique Kolber multiplie les supports, les formats et les idées d’exposition, selon le rapport avec le livre.
Et puisque but premier de l’exposition est de «donner au visiteur l’envie de lire le livre» et de «le laisser choisir ce qui l’intéresse», indique Nathalie Jacoby, on sort de l’exposition en étant invité à investir le coin lecture conçu à cet effet dans le hall du CNL, dans des fauteuils… en forme de livres. Là, les 30 lauréats du prix Servais sont disponibles à la consultation. Pour se créer, à son tour, de nouvelles images, de nouveaux univers sonores, en toute subjectivité.
«Imaginez Servais»,
Jusqu’au 30 mars 2023. CNL – Mersch.
Les 30 Prix Servais
1992 De Papagei um Käschtebam, de Roger Manderscheid
1993 Äddi Charel – Besuch – E Stéck Streisel. Trilogie, de Pol Greisch
1994 Mrs Haroy ou la mémoire de la baleine, de Jean Portante
1995 Königsberg, de Joseph Kohnen
1996 Wasserzeichen, de Lex Jacoby
1997 Ber Letzte vom Bayerischen Platz, de Margret Steckel
1998 Dans les cages du vent, de José Ensch
1999 Perl oder Pica, de Jhemp Hoscheit
2000 Der Tag des Igels, de Pol Schmoetten
2001 Laub und Nadel, de Roland Harsch
2002 Rost, de Guy Helminger
2003 Et donc tout un roman, de Jean Sorrente
2004 Frigo, de Claudine Muno
2005 Jenes Gedicht & Mit Nichts, de Jean-Paul Jacobs
2006 Passt die Maus ins Schneckenhaus?, de Guy Rewenig
2007 Le Murmure du monde, de Laurent Schlechter
2008 L’Ailleurs des mots, d’Anise Klotz
2009 U5, de Pol Sax
2010 Sibiresch Eisebunn, de Tania Naskandy (Guy Rewenig)
2011 Herzens Lust Spiele, de Jean Krier
2012 Tombeau des anges, de Gilles Ortlieb
2013 De Monni aus Amerika, de Pol Greisch
2014 Abrasch, de Nico Helminger
2015 Roughmix, de Roland Meyer
2016 L’Architecture des temps instables, de Jean Portante
2017 Larven, de Nora Wagener
2018 Kuerz Chronik vum Menn Malkowitsch sengen Deeg an der Loge, de Nico Helminger
2019 Stürze aus unterschiedlichen Fallhöhen, d’Elise Schmit
2020 Die Mutationen, de Francis Kirps
2021 wie viele faden tief, d’Ulrike Bail
Le prix Servais 2022
Le 31e prix Servais, doté de 6 000 euros, sera décerné au début du mois de mai. Le jury permanent de la Fondation Servais, présidé par Jeanne Glesener, fera son choix parmi les cinq ouvrages présélectionnés :
Lärm, de Guy Helminger (capybarabooks)
À bord, de Paul Mathieu (Éditions Phi)
Frontalier, de Jean Portante (Hydre Éditions)
Ma vie sous les tentes, de Jeff Schinker (Hydre Éditions)
Was have ich verpasst, de Nora Wagener (Éditions Guy Binsfeld)