Les réfugiés LGBTIQ+ subissent dans leur pays des violences les poussant à l’exil. Arrivés au Luxembourg, ils sont confrontés au long parcours de la demande d’asile, où ils doivent raconter leur intimité.
Plus de 60 pays criminalisent toujours l’homosexualité à travers le monde. Une douzaine appliquent même la peine de mort. Les personnes LGBTIQ+ y subissent des violences et persécutions sociales et vivent avec la peur de se faire condamner à des sanctions légales allant de la prison à la peine de mort en passant par des travaux forcés, des amendes ou de la flagellation publique. Fuir leur pays devient donc bien souvent une question de vie ou de mort. Elles migrent alors vers l’Europe, dans l’espoir d’y fonder une vie plus libre.
Le Luxembourg étant souvent perçu comme un pays ouvert à l’égard des personnes LGBTIQ+, il attire les réfugiés à la recherche de sécurité. Si aucun chiffre ne permet de savoir exactement combien viennent au titre de l’OSIEGCS (NDLR : orientation sexuelle, identité de genre, expression de genre et caractéristiques de sexe) puisqu’il est illégal de produire des statistiques là-dessus, le groupe réfugiés queers du centre Cigale dénombre déjà 50 membres.
«C’est donc sans compter les personnes qui n’en font pas partie, souvent par peur d’être outées», souligne Maud Théobald, directrice adjointe du centre et travailleuse sociale. Venant respectivement du Cameroun et de l’Ouganda, André et Lydiah ont trouvé refuge au Luxembourg. Ils ont quitté leur pays natal à cause de la persécution qu’ils y vivaient.
Fuir pour échapper à la persécution
André a 27 ans. Il a découvert son homosexualité dès l’âge de 10 ans : «Cela n’a pas été facile pour moi, car ma famille est catholique, donc elle ne l’a pas accepté». Il est harcelé, critiqué et menacé de mort, autant par sa famille que par la population camerounaise. «Mon oncle m’a torturé, j’en garde encore les cicatrices aujourd’hui», dit-il en montrant les stigmates sur ses bras. En 2022, il décide de partir du Cameroun sans prévenir sa famille. Il se dirige d’abord au Tchad, mais se rend très vite compte que le pays n’est pas plus ouvert. «Avec l’aide d’une amie camerounaise vivant au Luxembourg et de mon patron au Tchad, j’ai finalement pu venir au Luxembourg avec un visa en 2023.»
De son côté, Lydiah a 29 ans. Elle quitte l’Ouganda début 2024, après une vie déjà bien entamée dans son pays d’origine, où l’homosexualité peut mener à la prison à vie, voire, dans certains cas, à la peine de mort. «Mes parents m’ont forcée à me marier lorsque j’ai fini l’école, je devais respecter la culture», raconte-t-elle.
Alors que son mari lui fait subir des violences domestiques, son pays la persécute. «Je suis persuadée qu’il est derrière la persécution que j’ai vécue.» De son mariage naît un enfant, aujourd’hui âgé de 4 ans. Mais lorsqu’elle quitte l’Ouganda, elle ne peut pas le prendre avec elle. «Il est abandonné par ma famille à cause de mon homosexualité», souffle-t-elle. Elle passe alors neuf mois seule en Grèce, avant de venir au Luxembourg, où elle décide de se poser en espérant pouvoir, un jour, avoir son fils avec elle.
«La procédure est difficile et longue»
Une fois au Luxembourg, les réfugiés queers peuvent demander l’asile et obtenir une reconnaissance de vulnérabilité. Mais c’est – bien sûr – plus facile à dire qu’à faire. «La procédure est difficile et longue», assure Maud Théobald. Une fois la demande envoyée, les demandeurs doivent attendre. «Il y a 10 mois à un an d’attente.» Lydiah est dans cette situation : «C’est effrayant, je ne sais pas ce qui va m’arriver… J’ai peur de devoir rentrer en Ouganda», confie la jeune femme.
Et leur peine ne fait que commencer, car vient ensuite l’étape des entretiens avec le ministère : «Pour obtenir l’asile, ils doivent prouver leur homosexualité», explique la directrice. Et bien que le ministère ne demande pas directement des preuves, il n’y a tout de même pas énormément d’autres façons de prouver son homosexualité qu’en dévoilant des parts de son intimité et de sa vie privée.
«Le problème, c’est aussi l’ethnocentrisme, le personnel s’appuie sur une vision de l’homosexualité qui ne reflète pas du tout la réalité des personnes ayant vécu dans des pays qui la répriment.» Certaines personnes voient donc leur demande rejetée, car «elles ne sont pas crues».
Il faut que la procédure de demande d’asile soit changée et facilitée
Lors des entretiens, on leur demande aussi d’expliquer leur parcours, les raisons pour lesquelles elles ont quitté leur pays, les raisons de leur venue au Luxembourg, de leur passage par d’autres pays avant – ce qui peut d’ailleurs mener à un rejet… Et surtout, on leur pose des «questions intrusives sur leur sexualité». «Ils ont demandé à l’un de mes bénéficiaires à quel âge il avait eu son premier rapport sexuel», illustre Maud Théobald. André a déjà passé deux entretiens, le premier ayant été très rude et déstabilisant pour lui : «Ce n’était pas facile pour moi de parler de mon histoire.» Désormais, il vit dans le stress d’attendre la réponse du ministère.
«L’État luxembourgeois est quand même sensible à ces questions-là», tempère Maud Théobald. Elle n’a pas de difficultés à contacter les fonctionnaires du ministère et à leur parler. Et avec le nouveau Pacte asile, il est notamment plus simple de faire reconnaître la vulnérabilité. «Mais il faut que la procédure de demande d’asile soit changée et facilitée et, surtout, que le personnel en contact avec les réfugiés queers soit formé sur ces thématiques et à l’intersectionnalité.»
La double peine des réfugiés queers
La procédure de demande d’asile n’est pas leur seule difficulté. S’ils viennent pour vivre plus librement leur sexualité, leur statut de réfugiés vient tout de même avec son lot de problématiques, s’ajoutant à celles de leur homosexualité. En haut du panier se trouve celle des centres d’hébergement : «Les conditions d’accueil sont déjà déplorables, mais à cela s’ajoute le fait de devoir à nouveau se cacher pour ne pas subir de l’homophobie, c’est une double peine», note Maud Théobald. Elle souligne également que les réfugiés queers avaient, la plupart du temps, une bonne situation sociale dans leur pays.
Lydiah vit en foyer depuis son arrivée ici : «Je ne suis jamais seule, je n’ai pas d’intimité et j’ai peur que les autres découvrent mon homosexualité». André, lui, s’est retrouvé confronté à la fétichisation de la part des hommes blancs. «Je suis venu ici pour vivre l’amour, je ne pensais pas que des gens pouvaient en profiter», avoue-t-il tristement. Mais tous deux restent positifs : «Nous sommes heureux d’avoir échappé à la persécution dans nos pays et de pouvoir vivre librement notre homosexualité», sourient-ils. «Les réfugiés sont des héros des temps modernes, ce sont des survivants», estime Maud Théobald.
Un groupe pour les soutenir
Tout comme André et Lydiah, à leur arrivée au Luxembourg, les réfugiés LGBTIQ+ peuvent se tourner vers le centre Cigale pour trouver de l’aide et un accompagnement dans leurs démarches. Maud Théobald, en tant que travailleuse sociale, les reçoit pour les préparer aux entretiens avec le ministère.
Grâce à cette aide, les réfugiés peuvent aussi apporter des preuves plus convaincantes. «Nous faisons une attestation du nombre d’entretiens passés ici pour prouver l’implication dans la communauté», explique Maud. Et s’il est difficile de prouver son homosexualité, cette preuve-ci fonctionne généralement bien.
Le centre Cigale comprend également un groupe de soutien et d’empowerment dédié aux réfugiés queers. «Nous nous réunissons une fois par mois, nous y faisons des activités et du bénévolat. Cela nous permet de créer du lien social, de communiquer, d’échanger et de nous soutenir entre réfugiés queers», explique André.