L’Agence régionale de santé (ARS) Grand Est a publié récemment le nouveau zonage des chirurgiens-dentistes. Cette dernière cartographie n’est guère enthousiasmante. En Lorraine, il manque des dentistes dans 90 % des territoires du Grand Est. La pénurie de professionnels n’épargne aucune discipline médicale.
Après les généralistes, les ophtalmologues, les dermatologues, les gynécologues, les cardiologues… les chirurgiens-dentistes. Plus aucune profession n’échappe à la crise démographique qui affecte le monde médical.
Dans le nouveau zonage des chirurgiens-dentistes qu’a élaborés l’Agence régionale de santé (ARS) Grand Est en association avec l’Union régionale des professionnels de santé (URPS), les conseils territoriaux de santé (CTS) et la Conférence Régionale de la Santé et de l’Autonomie (CRSA), cette pathologie chronique saute aux yeux.
Aucun département lorrain ne sort du lot. Partout, il manque autant de dentistes que de médecins. Pire, la plupart des bassins de santé sont dans le rouge. À l’échelle du Grand Est, les « zones très sous dotées » bénéficiant d’aides à l’installation, englobent 33,2 % de la population régionale, les «zones sous dotées», 6,88 %. Dans les «zones intermédiaires», donc également en forte tension, logent 37,23 % des habitants du Grand Est.
Fracture dentaire
Ainsi, seul un infime pourcentage de la population a un accès aisé à des soins dentaires. Dans les périmètres très dotés et surdotés, on a respectivement 17,1 % et 5,59 % de la population régionale.
Sans surprise, les professionnels se concentrent dans les centres urbains : Verdun, Metz, Nancy, Faulquemont, Épinal… Comme de coutume, l’Alsace est la mieux lotie avec davantage de dentistes au kilomètre carré que la Lorraine où seule la ville de Ludres apparaît en vert foncé (zone non-prioritaire) sur la carte.
Conséquence de cette pénurie , les délais pour décrocher un rendez-vous s’allongent jusqu’à trois mois et davantage parfois. Les patients renoncent à se faire soigner, se retrouvent de plus en plus éloignés du soin bucco-dentaire, pourtant fondamental, et de plus en plus près d’une énième fracture sanitaire.
Une situation qui ne surprend pas le Dr Matthieu Hutasse. Président de l’URPS Chirurgiens-dentistes Grand Est et de la Fédération des syndicats libéraux (FSDL) Champagne Ardenne, le porte-parole des praticiens libéraux ne cache pas son agacement : «Cela fait vingt ans qu’on tire la sonnette d’alarme et que rien ne se passe au niveau des pouvoirs publics. Au moins, cette nouvelle carte a le mérite de montrer l’état catastrophique dans lequel se trouve la région. On constate ainsi que même les grandes villes ne sont pas épargnées par la problématique de la prise en charge dentaire. Même Reims est moyennement dotée.»
«On paye cinquante ans de politique de santé désastreuse»
Ce constat dressé, l’URPS réclame l’ouverture des formations dentaires qui ne sont plus soumises à un numerus clausus, mais à un numerus apertus. Ce glissement sémantique ne modifie en rien la donne pour Matthieu Hutasse : «On paye cinquante ans de politique de santé désastreuse. Cinquante ans où les pouvoirs publics ne se sont pas souciés des besoins actuels et à venir de la population. Personne n’a tenu compte de la démographie des praticiens. Pire, on s’est dit moins on a de praticiens, plus on réalisera d’économies. Un raisonnement absurde. Il faut des moyens pour les facultés dentaires. Aujourd’hui, on n’a pas assez de jeunes dentistes pour remplacer ceux qui vont faire valoir leurs droits à la retraite. Pas suffisamment non plus pour compenser les nouveaux rythmes des jeunes dentistes.»
Il faut six ans pour former un dentiste. Autant dire que, comme pour les médecins, l’horizon ne va pas se dégager avant une bonne dizaine d’années.
Thierry Fedrigo
(Le Républicain Lorrain)