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«Il faut outiller les pompiers pour faire face aux violences domestiques»


Isabelle Schroeder (à gauche), qui représente le ministère de l’Égalité, a apporté son soutien à l’association d’Ioanna Bagia (à droite). (phot Break the Cycle)

L’association Break the Cycle forme les pompiers à déceler les violences domestiques et y faire face durant leurs opérations. Une dizaine de centres du nord et de l’est du pays ont été sélectionnés pour ce projet.

Ces dix dernières années furent marquées par d’importants mouvements sociaux, encourageant la prise de parole des femmes, et de campagnes visant à dénoncer les violences sexistes et sexuelles, à l’instar de MeToo. Au fil du temps, et non sans peine, ces questions ont intégré les premiers rangs du débat public, impulsant par la même occasion de nombreuses initiatives politiques et associatives. Toutefois, ces violences peuvent revêtir une multitude de formes, en s’appliquant notamment au sein d’une relation familiale, conjugale ou maritale, en cours ou dissoute. On parle alors de violences domestiques, qui peuvent s’avérer complexes à déceler : «Elles sont très insidieuses, souvent cachées et donc sous-reportées», ajoute Ioanna Bagia, étudiante en deuxième année de master de droit à l’université du Luxembourg, et depuis l’année 2021, présidente de l’association Break the Cycle.

Du haut de ses 23 ans, Ioanna a pris à bras-le-corps la question des violences domestiques à travers un projet-pilote d’études visant à former les pompiers à cette thématique : «J’étais intéressée par le droit pénal et j’ai poursuivi là-dedans. J’ai eu des expériences professionnelles et des simulations de cas sur les violences domestiques, qui étaient à la fois intéressantes et complexes, détaille la juriste de formation. J’ai également eu une expérience légale dans un cabinet des affaires familiales, où j’ai pu suivre des vrais cas. J’ai été de plus en plus interpellée par mes recherches et mes expériences.»

Définir, reconnaître et agir

Le cœur du projet d’études, soutenu et financé par le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, réside dans cette idée subjacente : combiner «les connaissances académiques et celles du terrain» dans l’objectif de fournir une formation adaptée. De ce postulat, Ioanna a choisi les pompiers comme groupe cible, afin de les former sur les questions de violences domestiques : «Au travers de nos expériences et de nos dialogues, on a observé qu’ils sont souvent les premiers sur place à apporter de l’aide, avant même la police. Ils et elles peuvent donc très rapidement constater des signes», expose-t-elle, en ayant également fait le constat que les pompiers ne sont pas formés sur ces sujets-ci.

Une carence confirmée par Pierre Muller, chef du centre d’incendie et de secours de Junglister : «Nous sommes très limités dans nos actions et nous n’avons pas de formations spécifiques sur les violences domestiques. C’est la police qui s’en occupe principalement, mais avec cette initiative, nous arrivons mieux à repérer les cas et assurer une prise en charge», confirme le chef du CIS, dont la caserne fut la première à bénéficier de ces enseignements.

La formation dure au total six heures et s’articule autour de trois points essentielles : définir, reconnaître et agir. Photo : break the cycle

Au total, la formation dure six heures, réparties sur une journée. Elle s’articule autour de trois points fondamentaux : définir, reconnaître et se confronter à des cas pratiques. «Dans un premier temps, on observe la définition et les différentes déclinaisons, c’est-à-dire les violences physiques, psychologiques, sexuelles et financières, entame Ioanna Bagia. Ensuite, on apprend à reconnaître les signes physiques et psychologiques en observant des cas basés au Luxembourg. Enfin, on travaille sur des scénarios proches de la réalité», conclut-elle.

Un vaste programme basé essentiellement sur «la pratique» et «l’opérationnel», qui permet d’outiller les soldats du feu pour une meilleure prise en charge selon les cas : «Il y a des hommes victimes, des femmes victimes, ça peut arriver dans des couples homosexuels également. Avec ces éléments, ils peuvent ouvrir le dialogue et aider un grand nombre de victimes et les rediriger vers les structures nécessaires», complète la présidente de Break the Cycle.

Une formation qui porte déjà ses fruits

Bien qu’elle fut difficile à mettre en place, la formation proposée par Break the Cycle connaît un véritable succès dans les différents centres du nord et de l’est du Grand-duché. Près d’une dizaine de ces structures ont été sélectionnées pour y accueillir l’association jusqu’au 12 novembre et les fruits de cette opération se font déjà ressentir : «Il est vrai que de temps en temps nous avons des doutes et nous ne pouvons pas juger en cinq minutes de ce qu’il s’est passé, surtout que nous ne sommes pas directement contactés pour ça, avoue Pierre Muller dans un premier temps. Toutefois, avec cette formation, nous avons appris comment fonctionne la loi, quels sont les moyens dont nous disposons et comment nous pouvons prodiguer de l’aide et des conseils aux victimes.»

Cette collaboration est également saluée par l’association, qui se réjouit de l’intérêt porté par les soldats du feu à cette thématique : «Nous avons plusieurs retours de pompiers qui se sentent davantage informés et sensibilisés», annonce la présidente, qui ne cache pas son envie d’étendre le dispositif à d’autres territoires et corps de métier. L’idée est de couvrir tout le territoire car les violences domestiques ne se concentrent pas que sur une région. De plus, avec l’expérience des pompiers, nous pourrions étendre ce procédé au secteur médical et paramédical.»

Pour rappel, Les victimes de violence peuvent contacter la police à tout moment en appelant le 113. Une helpline dédiée est également joignable au numéro 2060 1060 sept jours sur sept, de 12 à 20 h.