Georges Linster est le dernier constructeur de pistes de quilles au Luxembourg. À 68 ans, il revient sur son parcours, mis à l’honneur à l’Expo-2025.
Conteur né, capable de faire ressurgir une époque révolue dans l’esprit de celui qui l’écoute, Georges Linster a certes remisé ses outils de menuisier, mais pas ses souvenirs. Il nous parle d’un temps où les cafés résonnaient, souvent après la messe, du bruit des boules sur les pistes de quilles. Des pistes que son père et lui étaient les seuls à fabriquer au Luxembourg. «Je ne suis pas un vrai menuisier», lâche-t-il avec humilité, «ça ne demandait pas des compétences exceptionnelles».
Derrière son large sourire, on devine néanmoins qu’il est plus doué qu’il veut le faire croire. Pendant une trentaine d’années, il a construit des pistes de quilles au Luxembourg, en Belgique, en France et depuis quelques mois même au Japon, pour le pavillon luxembourgeois de l’Exposition universelle d’Osaka (lire encadré).
Un jeu de quilles à Osaka
Comment des caisses de deux tonnes renfermant une piste de quilles luxembourgeoise se sont-elles retrouvées embarquées dans un avion Cargolux, jusqu’au Japon? Tout a commencé par un appel que Georges Linster a reçu. À l’autre bout du fil, les architectes du pavillon luxembourgeois de l’Exposition universelle d’Osaka lui demandent d’installer une piste de quilles, jeu emblématique du pays s’il en est. Leur idée tout d’abord est de recycler une piste existant au Luxembourg, la démonter et la reconstruire au Japon dans le pavillon. Le menuisier à la retraite estime alors qu’il serait plus judicieux d’en fabriquer une neuve et de faire appel à des apprentis menuisiers pour leur transmettre son savoir-faire. Le temps passe.
Puis un jour, des nouvelles : les élèves du lycée technique Emile-Metz et du centre de formation professionnelle se montrent enchantés par l’idée. «Ils ne connaissaient pas le jeu, mais ça les a intéressés. C’était une bonne expérience pour eux», raconte Georges Linster. À Esch-sur-Alzette, après des mois de travail, la piste est montée une première fois, testée et même inaugurée par Xavier Bettel.
Puis elle est démontée et ses éléments sont emballés dans de grandes caisses, avec les outils, les machines… et beaucoup d’huile de coude. Georges Linster se rend alors à Osaka pour aider à l’installation. Tout a été fait, même si cela s’est avéré compliqué, pour que la piste soit démontable facilement après l’Expo-2025, parce qu’il est bien possible qu’elle finisse sa vie au Japon.
Georges Linster a grandi à Cessange, dans la maison où se trouvait aussi l’atelier de son père «Pistes Linster». «Quand j’étais petit, je jouais au foot contre le mur de l’atelier, le reste, ça ne m’intéressait pas.» Peu porté sur l’école, il rêvait de devenir footballeur, et au sortir de l’adolescence a eu la possibilité de faire un stage au FC Metz, mais «ma femme ne voulait pas» dit-il, malicieux, en regardant celle avec laquelle il est marié depuis 50 ans.
Georges Linster est un homme fidèle. Fidèle à l’endroit d’où il vient (il a construit sa maison là où se trouvait celle de ses parents) et fidèle à sa famille, puisqu’il a repris l’entreprise de son père. Ne sachant pas trop quoi faire de sa vie, un CAP de tourneur fraiseur en poche, il commence à travailler chez Paul Wurth, jusqu’au jour où son père lui dit simplement : «Viens, si tu veux.»
Il n’est pas près d’oublier son premier jour de travail – ses rotules s’en souviennent aussi. «J’ai passé la journée à genoux à arracher le lino sur lequel on lance la boule, un ciseau et un marteau à la main. Le soir, je pleurais, j’étais sûr que ce serait mon dernier jour», rigole-t-il à présent. Mais il est resté, d’autant qu’il s’entendait bien avec son père. Apprentissage avec les ouvriers, brevet de maîtrise en cours du soir, reprise de l’entreprise en 1986, Georges Linster a gravi un à un les échelons de la petite entreprise familiale.
Des nuits sans sommeil
Des pistes de quilles en bois de hêtre, lui et ses ouvriers en ont construit dans des cafés évidemment, mais aussi dans des maisons de retraite, des campings et même chez des particuliers. «On faisait du sur-mesure. La plus petite piste mesurait 12 m de long (NDLR : contre 25 m normalement). C’était ridicule, mais les gens s’amusaient. C’est ça qui comptait.»

Malheureusement, alors que son père a connu les années fastes, construisant 56 pistes de quilles par an, quand il reprend les rênes, un lent déclin a déjà commencé. Il passe de nombreuses nuits sans sommeil à penser aux impayés des clients et aux factures qui s’amoncellent. Mais aussi aux bons moments, lorsqu’il rejoint ses amis pour des parties de quilles endiablées dans les cafés.
«Ce monde-là est en train de mourir», glisse-t-il sans amertume, mais avec une pointe de nostalgie. Les cafés sont rachetés par les brasseries, les terrains valent une fortune, les jeunes ne connaissent plus le jeu de quilles… D’ailleurs, il n’a pas poussé ses enfants à reprendre le flambeau. «C’est fini. Pour forcer quelqu’un à faire ça, il faudrait être fou.»
L’un de ses projets dont il se souviendra toujours? «Un monsieur de Capellen est retourné dans le nord du Portugal au moment de prendre sa pension et il y a acheté un petit café. Il nous a contactés pour qu’on lui installe des pistes. Quand on est arrivés là-bas, tout le village avait fait un cortège pour nous accueillir, c’était drôle, ils étaient contents, ils étaient bien habillés, il y avait une fanfare», se remémore-t-il les yeux rieurs.
Il n’en a pas tout à fait fini avec les pistes. Avec ses trois fils, il a ouvert un centre de loisirs à Heiderscheid où cohabitent bowling, jeux pour enfants et bien évidemment… un jeu de quilles. Fidèle, on vous dit.
De la culture à l’Expo-2025
Le 12 avril, lors d’une cérémonie officielle, l’empereur Naruhito et l’impératrice Masako déclareront l’Exposition universelle d’Osaka ouverte. Seront présents Xavier Bettel, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, André Hansen, commissaire général du pavillon luxembourgeois, ainsi que Michel Leesch, ambassadeur du Luxembourg au Japon. Dès le lendemain, le public pourra déambuler dans les lieux. Pendant six mois, quelque 28 millions de visiteurs du monde entier sont attendus pour découvrir les pavillons des 165 participants officiels, ouverts chaque jour de 9 h à 21 h.
En plus des missions économiques prévues pour faire connaître quelques domaines luxembourgeois tels que la digitalisation, l’exploration spatiale et l’économie circulaire, le secteur culturel sera aussi mis en avant. Le 13 avril, par exemple, deux chœurs prestigieux de 90 chanteurs et chanteuses seront réunis : celui de garçons Pueri Cantores du conservatoire de Luxembourg et celui de l’école Ritsumeikan de Kyoto, «portant un message d’union, de paix et de compréhension mutuelle», selon les organisateurs. Autre concert prévu, celui du 30 mai, lors de la journée luxembourgeoise, qui réunira les quatre artistes bien connus Francesco Tristano, Maika Fujii, Jill Crovisier et Pascal Schumacher, pour une «une expérience sensorielle à la fois universelle et intime».
La musique ne sera pas la seule à être mise à l’honneur, des expositions se tiendront dans le pavillon pendant toute la durée de l’événement. Ainsi, du 28 avril au 5 mai, le design sera au cœur du pavillon, suivi par l’exposition «Fallen Trees», initiée par Pitt Brandenburger pour célébrer la beauté et l’importance des arbres et des arbustes, du 6 au 20 mai.
Puis du 8 au 16 août, la plasticienne Aïda Patricia Schweitzer s’immergera au cœur des traditions textiles japonaises, avant que ne lui succèdent dès le 24 septembre, les deux photographes Daniel Reuter (Luxembourg) et Chikara Umihara (Japon) pour un regard croisé sur Osaka et son agglomération.