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Électrification du parc automobile : de la carotte au bâton ?


Économiste pour IDEA, Frédéric Meys (au c.) jette un regard critique sur la transition des véhicules thermiques au Grand-Duché. (Photo : julien garroy)

L’économiste d’IDEA Frédéric Meys a rédigé un rapport sur la transition énergétique du parc automobile qui restera en deçà des objectifs fixés pour 2030 si l’incitation ne s’accompagne pas de coercition.

D’ici 2030, le Grand-Duché s’est engagé à avoir un parc automobile composé à 49 % de véhicules électriques et hybrides rechargeables selon le Plan national énergie climat (PNEC) adopté en mai 2020.

L’objectif initial est-il réalisable ou est-ce devenu une illusion ? À cinq ans de l’échéance fixée, Frédéric Meys, économiste IDEA, a tranché : «La tendance actuelle n’est pas suffisante pour atteindre les objectifs que le Luxembourg s’est lui-même fixés».

Selon le rapport sur le marché national de l’électromobilité qu’il a rédigé et dévoilé ce mercredi, le diplômé en sciences économiques à l’université libre de Bruxelles estime que «la trajectoire actuelle ne permettrait d’atteindre qu’entre 17 % et 20 % de véhicules électriques et hybrides rechargeables en 2030».

Selon les chiffres du document IDEA, leur part dans l’ensemble du parc automobile s’élevait à 11 % en janvier 2025 et 11,6 % en mai 2025. À ce rythme, il faudrait attendre le mois de juin 2034 pour obtenir les 49 % visés.

Les primes à revoir, le leasing social à adopter

Pour l’électromobilité du Luxembourg, l’heure est donc venue de passer la seconde afin de tenir la promesse. D’autant plus que la part des nouvelles immatriculations de voitures électriques et hybrides connaît un ralentissement, étant passée de 40 % au début 2025 à 30 % actuellement.

Malgré cette tendance, Frédéric Meys se veut optimiste. «C’est possible de le faire, on a vu dans certains pays que cela peut aller vite. En Norvège, ils ont quasiment 100 % de nouvelles immatriculations en véhicules électriques.»

L’auteur se montre néanmoins réaliste en citant le pays scandinave : «C’est clair qu’il y a quand même eu un gros investissement public pour arriver à ce résultat».

Au Grand-Duché d’en faire autant. Pour ce faire, le rapport contient des suggestions, car «pour atteindre les objectifs de 2030, un équilibre entre incitations et mesures contraignantes apparaît nécessaire».

Aujourd’hui, la stratégie luxembourgeoise repose quasiment exclusivement sur les subventions pour l’achat et l’aide à l’installation de bornes. Ces dernières ne sont pas suffisantes, notamment à l’achat «où l’on voit un différentiel de coût relativement important avec les thermiques» note Frédéric Meys.

«Pourquoi ne pas déduire directement les primes du prix ?» Cela permettrait de faciliter l’achat d’un point de vue psychologique et d’éviter d’atteindre le versement de la subvention, «ce qui peut constituer un frein pour les consommateurs».

En termes d’accessibilité, Frédéric Meys évoque également l’introduction d’un leasing social ciblé sur les ménages modestes afin de lever le frein de l’investissement. Ce dispositif, en vigueur depuis 2024 en France par exemple, a été annoncé dans le PNEC mais reste en cours d’analyse.

Le rapport plaide pour l’instauration d’un leasing social afin d’inciter les ménages les moins aisés à se diriger vers l’électrique.

«C’est politiquement toujours sensible»

Malgré toutes les incitations, «on utilise beaucoup la carotte mais ce n’est pas suffisant, il s’agirait peut-être d’utiliser aussi le bâton» suggère l’économiste.

Ce dernier cite d’abord «des taxes de mise en circulation pour les véhicules thermiques» qui pourraient réduire la différence de prix à l’achat. Toujours au niveau du porte-monnaie, le rapport note que la taxe annuelle de circulation «ne permet pas d’influencer les consommateurs» puisque l’écart moyen entre véhicules thermiques et électriques est «peu différenciant», autour de 50 euros.

Outre la fiscalité, le gouvernement pourrait également mettre en place «des zones à faibles émissions ou de péages urbains modulés selon la motorisation» afin d’interdire la circulation des modèles jugés trop polluants.

Bien qu’envisageables, ces mesures qui relèvent du bâton sont «coûteuses d’un point de vue politique» reconnaît l’expert. «C’est politiquement toujours sensible, surtout au Luxembourg où la voiture a une place très importante dans la mobilité et pour les régions frontalières.»

Toujours est-il que «le chemin de l’électrification prend son temps, alors qu’il devrait peut-être aller plus vite au regard des objectifs climatiques» insiste l’économiste, qui relativise malgré tout en estimant que «cela avance quand même dans la bonne direction».

Des subventions trop coûteuses ?

Afin d’orienter les pouvoirs publics vers les meilleures décisions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), le document d’IDEA met en avant une approche «qui gagnerait à être étendue» : celle des coûts d’abattement.

Pour ce faire, le rapport compare le coût de la politique actuelle de prime avec les bénéfices observés en termes d’émissions de GES sur quinze paires de véhicules thermiques et électriques.

Selon les calculs, le coût pour les pouvoirs publics est entre 533 euros et 1 252 euros par tonne de CO2 évitée. Pour les utilisateurs des véhicules, le gain privé est de 140 à 329 euros par tonne de CO2. Soit un coût total allant de 393 à 923 euros par tonne de CO₂ pour l’ensemble de la société.

En comparaison avec la taxe carbone luxembourgeoise à 40 euros par tonne, la politique de subventions pour l’électrique et l’hybride «semble dès lors assez coûteuse» selon le rapport.