Accueil | A la Une | Huîtres : combien de chromosomes dans vos assiettes ?

Huîtres : combien de chromosomes dans vos assiettes ?


Rien ne distingue au goût ou à l’œil les diploïdes et les triploïdes. (photo: AFP)

Huîtres diploïdes ou triploïdes ? La recherche du naturel et la lutte contre la manipulation des espèces se nichent aussi dans les assiettes des fêtes de fin d’année.

Rien ne distingue au goût ou à l’œil les diploïdes, huîtres naturelles avec leurs deux jeux de chromosomes, comme la plupart des êtres vivants, et les triploïdes, issues de laboratoires avec leurs lots de trois chromosomes.

Même l’étiquetage reste muet sur l’existence de ces triploïdes dont l’intérêt est double pour les ostréiculteurs qui ont fait ce choix.

Tout d’abord, elles sont censées rester stériles en milieu naturel et ne sont donc pas laiteuses l’été, ce qui plaît davantage au consommateur et ouvre du même coup ce marché aux très nombreux estivants.

Et comme elles ne consacrent pas leur énergie à la reproduction, ces huîtres triploïdes grandissent plus vite et ne mettent que deux ans, au lieu de trois, avant d’être commercialisables.

Au bord du bassin d’Arcachon, l’ostréiculteur Didier Dubos se dit inquiet du manque d’information auprès des consommateurs et des conséquences de ces produits sur l’environnement.

« Je ne vois pas l’intérêt d’avoir des huîtres triploïdes, un produit modifié, alors qu’on a un produit naturel », estime cet ostréiculteur de Gujan-Mestras (Gironde), qui vend ses bivalves dans la banlieue bordelaise avec la banderole: « L’huître Arcachon-Cap Ferret naturellement bien élevée ».

Dans le parc à huîtres du Courbey, ce paysan de la mer bichonne ses huîtres, appelées localement « cognes », retourne les lourdes poches tandis que son ami Michel en « sème » d’autres à même le sable après avoir ratissé les trous provoqués par les raies, friandes de ce mollusque.

Depuis une dizaine d’années, il voit croître l’élevage de triploïdes aux côtés de celles nées et élevées dans le bassin d’Arcachon, un des lieux de reproduction des huîtres.

Et certains s’inquiètent des conséquences pour l’environnement de l’élevage de ces triploïdes qui ne seraient pas toujours si stériles que cela.

L’huître, grande voyageuse

Créées dans les années 80 aux États-Unis, ces hybrides, ne sont pas des OGM car leur patrimoine génétique reste intact. Elles ont été étudiées en France une dizaine d’années plus tard par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), qui les a lancées dans les années 2000.

« On retient une partie du matériel génétique au moment de l’ovulation », explique Sylvie Lapègue de l’Ifremer à La Tremblade (Charente-Maritime). Cet institut, qui a breveté une des deux méthodes pour créer des triploïdes, fournit aujourd’hui des géniteurs à des écloseries.

Lui aussi ostréiculteur le long du bassin, Gabriel, qui préfère rester anonyme, s’apprête à sauter le pas. Il élève en ce moment des triploïdes « vu leur grosseur », ce qui lui permettra de proposer plus de « numéro un », dont raffolent ses clients. Mais cela « demande plus de travail que celles qui naissent naturellement ici », dit-il.

Car ces huîtres, dites « des quatre saisons », ont leur défaut: un taux de mortalité adulte plus élevé qui pourrait s’expliquer par leur croissance rapide.

Faute de réglementation sur l’étiquetage, chacun s’organise. Des producteurs, issus des sept bassins ostréicoles français, se sont ainsi regroupés autour d’une association, Ostréiculteurs traditionnels, pour proposer des huîtres « nées et élevées en mer ».

Car diploïdes et triploïdes, grandes voyageuses, peuvent par exemple être nées en écloserie, passer deux ou trois ans en Bretagne voire en Irlande avant d’être affinées quelques semaines dans le bassin pour y être vendus comme des huîtres d’Arcachon.

Pour faire face à ce manque de traçabilité, l' »huître tradition », un label certifiant qu’elle est bien née et élevée dans le bassin d’Arcachon, sera lancé l’an prochain.

« La vraie question à se poser porte sur la traçabilité d’un produit qui vient d’un milieu fermé, l’écloserie, et est ensuite élevé en milieu ouvert », estime le président du comité régional de la conchyliculture (CRC) Arcachon-Aquitaine, Thierry Lafon.

« Il y a des précautions à prendre sur l’aspect zoosanitaire, prévient-il. L’eau dans les écloseries est traitée, quelles sont les conséquences de ces traitements sur l’environnement une fois l’animal placé en milieu naturel? ».

Le Quotidien/ AFP