Les bras enveloppés de cellophane, lampe de poche en main, ils descendent dans les égouts sombres et nauséabonds : désespérés, les derniers manifestants pro-démocratie retranchés dans une université de Hong Kong assiégée tentent une périlleuse évasion.
Sur l’esplanade jonchée d’ordures de l’Université polytechnique (PolyU), bastion de la contestation cerné par les policiers anti-émeute depuis dimanche, les étudiants font la moue en flairant l’odeur fétide sortant des conduites. Mais ils sont désormais prêts à tout pour fuir le campus. Cible de cocktails Molotov et de briques lancés par les manifestants, la police les a prévenus : ils seront arrêtés pour participation à une émeute – un crime passible de 10 ans de prison.
Alors certains n’hésitent plus. Ils s’enroulent les bras et les genoux d’épais bandages de film alimentaire, en prévision de la difficile progression à quatre pattes qui les attend. Des journalistes ont aperçu un groupe de manifestants s’entraîner à ramper. D’autres, abandonnant finalement l’idée, serraient dans leur bras les candidats à l’aventure. « Les gens à l’extérieur ne peuvent pas nous aider », a déclaré mardi un manifestant à une télévision locale. « Alors qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? » « On arrivera à tenir aujourd’hui. Pour ce qui est de demain, on verra… », avait déclaré la veille Fung, un Hongkongais de 43 ans venu aider à cuisiner des repas aux manifestants.
« C’est ma vie entière que je passerais dans une prison »
Déjà lundi soir, des dizaines de protestataires avaient réussi à s’enfuir en descendant d’une passerelle au moyen de cordes, avant d’être récupérés sur la voie rapide en contrebas par une nuée de motos et de scooters. La police a déclaré avoir arrêté 37 de ces manifestants ou de leurs complices à deux roues. Mais un grand nombre d’autres ont semble-t-il échappé aux forces de l’ordre. Plus tôt lundi, des centaines de protestataires avaient tenté de s’enfuir en courant. Quelques-uns avaient réussi. Mais d’autres ont été interceptés par la police, certains frappés à coup de pied ou de matraque.
Mardi, 20 manifestants ont également pu échapper à la vigilance des forces de l’ordre après s’être réfugiés dans un bâtiment proche du campus. « Je risque dix ans de prison si je suis condamné pour émeute », explique Issac, 17 ans, l’un des évadés. « Mais si j’arrête de manifester, c’est ma vie entière que je passerais dans une prison, plus grande celle-là », dit-il en référence à la société hongkongaise. Des moins de 18 ans ont été escortés à l’extérieur de l’université par des professeurs. La police ne les a pas arrêtés mais a pris leurs coordonnées.
Prêts à sacrifier leur avenir pour les autres
Sur le campus, le désespoir a gagné les manifestants avec l’épuisement des stocks d’eau, de nourriture, et les craintes d’assaut de la police. « La liberté ou la mort », proclame un message tagué sur l’entrée en verre d’un bâtiment, dans lequel une épicerie a été pillée et un distributeur automatique de billets réduit en morceaux. Des amas de chaises, de tables, de bouteilles à cocktails Molotov, de tapis ou de poubelles sont dispersés un peu partout. Et les murs sont noircis par les flammes des incendies qui se sont déclarés sur le campus. Un noyau dur de protestataires radicaux reste toujours retranché dans la PolyU. Malgré les avertissements de la police, laquelle a prévenu qu’elle tirera à balle réelle si elle est la cible d’armes létales.
Au bord des larmes, exténué et blessé à une jambe, Wong soupire : « Si j’abandonne, est-ce que je pourrais encore regarder dans les yeux ceux qui se sont sacrifiés ? », en référence aux manifestants arrêtés pendant le siège. « Ça ne me dérange pas de faire une croix sur mon avenir, pour que d’autres puissent marcher sur nos corps et continuer d’avancer et de lutter. »
LQ/AFP