Accueil | A la Une | Hesperange : dans l’atelier de la mère des dragons

Hesperange : dans l’atelier de la mère des dragons


Il faut des centaines d’heures à Joey Adam pour venir à bout d’un exemplaire d’un de ses dragons. (Photos : fabrizio pizzolante)

Joey Adam, artiste costumière aux talents aussi multiples que rares, nous emmène dans son atelier d’où sortent dragons et parures de drag-queen.

Février 2023, la drag-queen luxembourgeoise Madame Yoko apparaît sur la scène de l’émission Drag Race Belgique enveloppée dans une robe verte style Art nouveau mise en valeur par un corset paré de fines dorures, de paillettes et de magnifiques ornements. Point d’orgue de cette tenue, un chapeau en forme de paon, à l’impressionnant plumage, donne toute sa flamboyance à la drag-queen.

Derrière cette éclatante réalisation se trouvent les doigts précis et l’imagination sans frontières d’une Luxembourgeoise. Joey Adam, née Joëlle en 1972 à Pétange, est une artiste costumière dont la polyvalence n’a de limite que la diversité des matières. Elle vit aujourd’hui à Hesperange, entourée de ses enfants et de ses créations. Pénétrer dans sa maison atelier, c’est croiser un dragon sous l’escalier, parcourir du regard les mille et un accessoires répandus sur sa table de travail ou prendre dans ses mains des pâtes malléables à l’envi.

Récompensée à la biennale De Mains de Maîtres

Si Joey se dit «plutôt introvertie», ses créations se veulent être l’exact opposé. «Je sais créer des costumes en suivant les inspirations de la demande du client et j’aime particulièrement travailler avec Madame Yoko, car ses idées sont un peu folles», expose la costumière. «Pour ce fameux corset, elle souhaitait quelque chose de semi-rigide avec des petites billes à base de thermoplastique. Tout a été découpé et peint à la main, c’était un labeur de détails», souffle l’artiste qui n’utilise aucune machine pour créer ses réalisations.

En 2023, c’est avec ce type de pièce qu’elle rafle le prix du jury et le prix du public lors de la biennale De Mains de Maîtres. Une première dans l’histoire de la prestigieuse cérémonie qui met en avant l’excellence du savoir-faire d’artisans et créateurs d’art du Luxembourg. Très discrète et unique personne à posséder un tel savoir-faire au Grand-Duché, Joey Adam aime à créer dans l’ombre ce que les autres exposent à la lumière des projecteurs. Dernière tenue en date, un costume qui mêle armure et corset pour Leona Winter, l’une des participantes phares de la troisième saison de Drag Race France.

Des projets initiateurs d’amitiés

Diplômée en arts graphiques du lycée technique des Arts et Métiers au début des années 90, Joey Adam poursuit ses études à Florence, en Italie. Dans la capitale de la Toscane, elle se spécialise dans le costume historique et cinématographique ainsi que dans le décor de scène et les accessoires de théâtre. De retour au Luxembourg, elle est contrainte de s’engager dans un travail de bureau, «tout en gardant l’art à côté». Cette passion et un coup de pouce du hasard la mènent à devenir professeure d’art plastique au sein de l’ASBL Art à l’école. «J’ai toujours donné des coups de main à droite et à gauche pour des créations artistiques ou des costumes. Les gens disaient : demande à Joëlle, elle aura une idée», confie la femme de 52 ans. 

J’aime tout ce qui a du caractère

Ses commandes et son travail artistique actuel, qu’elle concilie avec un poste à la Fédération du sport cycliste luxembourgeois, sont toujours alimentés par le bouche-à-oreille, notamment grâce aux réseaux sociaux. Les clients l’approchent pour son savoir-faire, un premier contact qui se conclut bien souvent par l’éclosion d’une relation amicale. «Mes clients me donnent un brief, me racontent une histoire. J’aime tout ce qui a du caractère. À partir de ce point de départ, j’extrapole et je fais des propositions. C’est bien souvent une partie de ping-pong et l’on finit par devenir amis.»

Donner vie à des dragons

Outre ses costumes et corsets, c’est un animal légendaire qui lui a donné une petite notoriété : le dragon. Au début des années 2010, Joey Adam œuvre pour l’ASBL Dragons for Breakfast, une association qui utilise l’art pour soutenir et sensibiliser les enfants des rues. L’artiste y réalise des sculptures de dragons qu’elle vend pour collecter de l’argent. Parallèlement, elle est plongée dans le steampunk, une mouvance qui mêle l’esthétique et la technologie du XIXe siècle à des éléments de science-fiction, et crée de nombreux objets pour accessoiriser les costumes.

De ces deux activités va éclore une idée. «J’ai imaginé une sorte de marionnette de dragon que l’on enfile depuis la main et le long du bras», décrit-elle. «Pour ce premier dragon, j’ai dû essayer de trouver des solutions pour créer la texture et imaginer des mécanismes. Le processus de création est toujours très intéressant, car l’on ne sait pas sur quoi on va tomber.»

L’un des corsets portés par la drag-queen luxembourgeoise Madame Yoko sur la scène de l’émission Drag Race Belgique.

Le résultat est bluffant et fait sensation dans les rassemblements steampunk et médiévaux. Si bien que, année après année, le clan des dragons s’agrandit pour atteindre douze individus aujourd’hui. «J’ai des commandes de la part de Norvégiens, d’Allemands, d’Anglais, de Belges. Certains ont même été envoyés aux États-Unis», précise-t-elle.

Colorées, confectionnées dans des teintes et des matières curieuses et diverses et possédant chacun sa propre légende, ses créatures représentent l’un des points d’orgue dans la carrière de l’artiste. Point insolite : tous portent un nom en référence au whisky, comme Smoked Head ou Oban, ville située à l’ouest de l’Écosse et siège d’une distillerie de whisky.

Le temps, le nerf de la guerre

Ces créatures sont le parfait exemple de l’implication de Joey Adam dans ses créations. «Je suis curieuse et ce qui m’intéresse, c’est ce qu’une machine ne peut pas faire. Je mets toujours toute mon âme dans mes créations, j’arrête de compter les heures et surtout je veux faire les choses à ma façon.» Pour une marionnette de dragon, l’artiste passe entre 100 et 150 heures à la table de son atelier.

Il ne faut pas avoir peur de l’échec

Le temps est ce qui lui est le plus précieux. Depuis la naissance d’un projet jusqu’à sa conception, en passant par le visionnage de tutoriels et ses échecs, Joey accumule rapidement les heures. «Je ne fais pas ça pour l’argent», sourit-elle. «C’est un métier dans lequel on apprend en permanence, il ne faut pas avoir peur de l’échec.»

Forte des nombreuses commandes qu’elle reçoit, elle se questionne aujourd’hui sur son avenir. «J’aimerais passer à plein temps dans la création. J’ai énormément d’idées pour des créations personnelles, mais en étant à mi-temps, il me manque encore du temps pour les réaliser», assure-t-elle, tout en nous glissant qu’un projet venant de l’autre côté de l’Atlantique vient de lui être proposé.

Quant à un passage sur scène pour celle qui habille les créatures qui s’y produisent? «Je suis un peu une ermite très introvertie, mais si j’enfile un costume et que j’entre dans la peau d’un personnage, alors j’adore ça!»

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.