La Commission européenne a proposé mardi d’abandonner progressivement la règle de l’unanimité pour les décisions en matière fiscale dans l’UE, malgré les réticences de certains Etats membres, Irlande en tête. Mais il s’agirait d’y aller par étapes, les domaines les plus sensibles étant en queue de wagon.
Actuellement, pour être adoptée, une loi européenne sur les taxes doit être approuvée par les 28 pays de l’UE. Une situation qui a conduit à de nombreuses frustrations puisqu’elle freine considérablement toute tentative d’harmonisation en matière d’impôts dans l’Union.
La fiscalité et les affaires étrangères sont en effet les deux derniers bastions de la législation européenne qui requièrent encore l’unanimité pour adopter une décision. Dans tous les autres domaines, énergie, transport, social, etc, il suffit d’avoir la majorité qualifiée. « Les temps ont changé ! S’accrocher au principe d’unanimité pour protéger les régimes nationaux de taxation contre l’harmonisation dans l’UE (…) est un mythe, pas une réalité », a martelé le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, en présentant son projet lors d’une conférence de presse au Parlement européen à Strasbourg.
Question de souveraineté européenne
« Seule la majorité qualifiée peut aider nos Etats membres à relever les défis d’aujourd’hui. Sinon ce sont des pays tiers ou des multinationales qui vont décider de nos politiques fiscales », a mis en garde l’ancien ministre français des Finances. Plusieurs initiatives européennes en matière fiscale sont bloquées par la règle de l’unanimité.
La taxe sur les géants du numérique, cheval de bataille du président français Emmanuel Macron, a fait l’objet d’une proposition de Bruxelles, présentée au printemps 2018, et fait face à l’opposition farouche de certains Etats membres, tels que la Suède, le Danemark ou encore l’Irlande, qui taxe peu les entreprises pour attirer des multinationales sur son sol, comme Apple. Le Luxembourg s’oppose pour sa part à la taxe sur les GAFA au niveau européen, affirmant que la compétitivité de l’UE serait handicapée et préconise une solution négociée plus largement, au moins au niveau de l’OCDE.
Dans un entretien au Quotidien, le 7 janvier, le Premier ministre estimait que la « fiscalité est une compétence nationale et fait aussi partie, au Luxembourg, d’une politique sociale ». Autrement dit, il n’entend pas voir d’autres pays européens dicter sa politique fiscale au Grand-Duché. « Je n’ai pas envie d’augmenter ma fiscalité de 10, 15 ou 20 % parce que d’autres pays n’arrivent pas à gérer leurs dépenses publiques d’une autre manière, avait ajouté le Premier ministre
Autre exemple: la taxe sur les transactions financières (TTF), une proposition rendue publique en 2011 et qui est toujours au point mort même si une dizaine d’Etats membres, dont la France, tentent toujours de parvenir à un accord sur le sujet.
Petits pas et « clause passerelle »
Consciente des réticences que le passage à l’unanimité suscite, la Commission européenne veut progresser pas à pas. Elle suggère que les Etats membres s’accordent d’abord à la majorité qualifiée sur la coopération et l’administration en matière de fraude fiscale, puis sur les taxes concernant l’énergie et l’environnement. Viendraient ensuite les sujets plus épineux comme la fiscalité sur les entreprises numériques. Pour passer à la majorité qualifiée sans être obligé de rouvrir les traités européens (où l’unanimité en matière fiscale est inscrite), l’exécutif européen veut activer ce que l’on appelle dans le jargon de l’UE la « clause passerelle ». Pour l’activer, il faut l’accord unanime des 28 Etats membres, après consultation des parlements nationaux et approbation du Parlement européen.
Le Quotidien/AFP