Depuis 42 ans, Maria s’occupe de son fils souffrant d’un handicap moteur et cérébral. Un quotidien difficile qui tourne essentiellement autour de la maladie.
Tous les mardis, Maria da Silva Alves pousse les portes du Mosaïque Club d’Esch pour sa séance hebdomadaire de gymnastique. L’une des parenthèses que la sexagénaire peut s’accorder dans une vie qui, depuis 42 ans, tourne autour de George, son fils. Atteint d’un handicap moteur et cérébral depuis sa naissance, il a passé son existence en fauteuil roulant. «Il ne peut ni marcher, ni parler, même s’il comprend ce qu’on lui dit.» Il aura fallu quelques années à Maria et son mari pour mettre un nom sur le problème, même si les premières inquiétudes sont apparues très rapidement. «À deux mois, il ne pouvait pas tenir sa tête et à six, il ne pouvait toujours pas s’asseoir.»
À l’époque, les médecins ne préconisent que des séances de kiné sans plus chercher à comprendre. C’est d’ailleurs une kiné qui va finalement avoir le courage de lui annoncer la triste nouvelle. «J’étais enceinte de ma fille depuis trois mois et elle m’a dit que George ne pourrait jamais marcher.» À peine remise du choc, Maria doit rapidement faire face à des remarques dans son entourage. «C’est déjà difficile pour une maman d’apprendre que son enfant est handicapé, mais en plus, j’ai entendu des mots comme « Dieu t’a punie« .»
J’ai eu envie de baisser les bras, mais je ne l’ai jamais fait
Malgré les difficultés, malgré les remarques, Maria va faire face et s’occuper de son fils autant qu’elle le peut. C’est toute une vie qu’il faut alors adapter. «J’ai eu envie de baisser les bras, mais je ne l’ai jamais fait.» Totalement dépendant, George a besoin d’attention à toute heure de la journée et comme beaucoup d’aidants, sa mère n’arrive pas toujours à déléguer. Son mari Antonio, qui a eu plus de mal à accepter le handicap de son fils, la soutient, mais ne participe pas vraiment aux soins. Heureusement, la mère de famille a rapidement pu compter sur des structures comme le Centre de logopédie de Strassen qui a accueilli George de 4 à 15 ans.
Une bouffée d’air frais pour Maria qui lui a permis aussi de rencontrer d’autres parents accablés par un malheur similaire. «J’ai pu parler avec des gens qui étaient dans le même bateau que moi.» Pris en charge par plusieurs centres au fil des années, George, lui aussi, a pu y faire des rencontres, certaines prenant même une tournure inattendue. «À 33 ans, il est tombé amoureux d’une fille, se souvient Maria, esquissant un sourire. Un premier émoi qui l’a bouleversé au point de tomber dans une grande tristesse quand celle-ci est partie. «Il a fait une dépression et a commencé à devenir violent. D’abord avec moi, puis avec les femmes du centre et même les hommes.» Un nouveau traitement a permis de le calmer face à ce chagrin d’amour qu’il n’arrivait pas à gérer.
Se ménager du temps pour soi
Depuis ses 40 ans, George a intégré le centre de Mondorf. «Lui était très content, mais nous nous inquiétions, car nous ne connaissions pas le personnel.» Aujourd’hui, les journées de cette maman sont toujours les mêmes et suivent un planning extrêmement précis. «Je me lève à 6 h. À 6 h 30, je vais le réveiller et je lui fais ses soins, ensuite quelqu’un vient m’aider pour lui donner sa douche. Je lui brosse les dents et il part pour le centre.» Si elle peut souffler pendant la journée, il faut tout de même se remettre au travail en début de soirée avec la préparation du repas avant le retour de son fils. Mais cette organisation a pu lui permettre de travailler. «J’étais femme de ménage. Quand j’allais chez les gens, je me mettais à pleurer dès qu’ils partaient.»
Si le fardeau restait même pendant le travail, cela a permis à Maria de mener une vie en parallèle du handicap. Aujourd’hui, c’est au Mosaïque Club qu’elle a trouvé un refuge. Ce club senior d’Esch-sur-Alzette est géré par le réseau HELP de la Croix-Rouge, qui vient en aide aux personnes en situation de handicap et soulage leurs proches. Il vient d’ailleurs de célébrer, le 6 octobre, sa 3e journée de l’Aidant. De nombreuses activités y sont proposées et permettent à Maria d’ouvrir son quotidien. «C’est ma troisième famille. J’ai ma famille à la maison, celle du centre de jour et celle-ci.»
Malgré les difficultés, le handicap a tout de même eu quelques effets positifs. «J’ai pu rencontrer énormément de gens que je n’aurais jamais connus sans être la maman de George.» Elle a aussi pu nouer une relation unique avec son fils. Mais ces maigres avantages n’atténuent pas la douleur de ces parents dont la vie entière est marquée par cette charge constante. Et si aujourd’hui, beaucoup de choses vont mieux – Maria n’accorde par exemple plus d’importance aux remarques désobligeantes –, de nouveaux soucis s’annoncent. Âgée de 63 ans, elle sait qu’elle ne pourra pas toujours être là pour son fils. «On y pense. Il ira sans doute dans le centre qui l’accueille déjà aujourd’hui.» Maria et Antonio ont bien une fille de 40 ans, Wilma, qui les aide déjà, mais hors de question de lui laisser ce lourd héritage.
Aussi, quand Maria fait le point sur sa vie, la conclusion ne peut avoir qu’un goût amer. «Je ne suis pas heureuse. Mais je pense que George lui est heureux, alors je suis satisfaite.»